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— Tu me ferais plaisir si tu voulais venir demain dire deux mots d’encouragement à nos hommes. Je suis trop seul.

— J’y serai. Et j’amènerai des camarades.

Le soir même, il alla raconter à Avramaki les exploits du père Stéphane.

— En voilà un qui vous en bouche un coin, à vous autres militants bourrés de doctrine, — conclut Adrien, mélancoliquement. — Ce vieux, dont le vocabulaire ne dépasse pas deux cents mots, a gagné un débardeur par chacune de ses paroles, sans discours, ne parlant que maladie, mort, bois de chauffage et distribuant des canifs à ceux qui abandonnaient le couteau. Tu vois donc combien il leur faut peu de chose, aux hommes, pour les décider à de grandes actions. Car il n’y a pas de doute, ce limonadier illettré a planté le premier jalon d’un mouvement qui ne s’arrêtera pas à la maladie et au combustible. En balbutiant des exhortations stéréotypées, il a fait, seul, ce que tous vos doctes chefs n’ont pas réussi, malgré leur éloquence. Maintenant, c’est à toi, demain, de lancer la bombe des élévateurs et de jeter les bases du « Syndicat des Travailleurs du Port ».

Cette réunion du lendemain contraria Avramaki. Il était un chasseur passionné et se préparait justement à louer un canot et à rester du samedi soir au dimanche à midi dans les marécages.

— Je t’attendais, — dit-il à Adrien, — pour te proposer de m’accompagner, comme jadis. Quoique tu ne sois pas chasseur, je sais que tu aimes à rôder au clair de lune dans le maquis du Danube.

— Renvoyons ce plaisir à huitaine. Maintenant, c’est le moment de faire exploser notre bombe.

Sanda venait de rentrer, à la minute même, d’une course en ville. Comprenant de quoi il était question, elle fit passer les deux révolutionnaires sous une douche froide :

— Votre « bombe », — leur dit-elle, — n’est déjà plus qu’une trakatouka ! On a appris ce soir dans le port que les trois élévateurs sont dans les docks de Galatz, où on les met au point. Allez un peu voir ce qui se passe en ville. Tous les bas quartiers sont sur pied.

Adrien respira soulagé « C’est mieux comme cela, — se