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terrompues, le sac sur l’épaule, faisant craquer les ponts sous leur poids, et perdant parfois leurs caleçons.

Un samedi, vers le milieu d’août, Adrien allait, le nez au vent, chercher, le long des quais, le chef des dépôts de la maison, afin de lui transmettre un ordre urgent, quand le père Stéphane, le limonadier, le saisit par le bras :

— Demain dimanche, à neuf heures, nous inaugurons la Maison des Travailleurs du Port.

— Quelle « Maison » ?

— Tu ne sais pas ? Nous sommes deux cents, maintenant, et nous avons loué une propriété entière avec une belle salle rue Grivitza.

— Mais qu’avez-vous pu dire aux débardeurs, pour en rassembler deux cents ?

— Je leur ai dit qu’il doivent s’aider mutuellement, en se cotisant. Pour le cas de maladie ou de mort, un franc par mois. Pour les frais généraux, un autre franc. Et ceux qui veulent avoir, en hiver, du bois de chauffage sec et pas cher, n’ont qu’à verser dix francs par semaine, pendant deux mois, et ils seront les associés d’une coopérative de bois de chauffage qui leur en fournira cinq mille kilos chaque année. C’est la moitié du prix que nous payons pour du bois vert ou trempé par les pluies.

— Et vous avez trois coopérateurs qui vous versent ces dix francs par semaine ?

— J’en ai trouvé cinquante et nous avons déjà acheté dix wagons de bois. Mais l’exemple sera suivi par bien d’autres, dès qu’ils verront que personne ne touche à leurs sous, car j’ai mis ces cinquante coopérateurs dans le Comité.

— Qui dirige ces hommes ?

— Ils se dirigent tout seuls. Moi, ils m’ont prié de ne plus vendre de la limonade, d’habiter avec ma famille une dépendance de la « Maison », comme gardien, et de vendre du bois au détail, un peu au-dessous du prix du jour, en partageant le bénéfice par moitié. Cela assure le pain à mes enfants et rien de plus.

« Cela, — pensa Adrien, — équivaut à zéro, mais tu auras, brave vieux, fixé le point de départ. Nous nous chargerons de la suite. »