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ni souhaité. Et mieux il connaissait tout ce que pouvait lui donner Julie, plus il adorait tout ce qu’il n’était pas au pouvoir d’Anna de lui refuser.

Celle-ci, ne le redoutant plus, s’était habituée à ses câlineries de serpent mystérieux. Lorsqu’il la boudait, c’est elle qui le cherchait. Elle venait souvent dans sa chambre, où Adrien aimait « se retrouver », aussitôt la journée finie. Car, pour ce qui est de la soif humaine de s’évader dans le rêve, Anna, toutes proportions gardées, pouvait aussi avouer que son professeur de gymnastique, qui connaissait bien l’équilibre du corps, ignorait totalement celui de l’âme, et qu’il n’était pour sa belle maîtresse que ce que Julie était pour Adrien. C’est pourquoi, devant une caresse du cœur, elle se trouvait tout aussi frémissante, tout aussi accueillante qu’une jeune fille.

Maintes fois, quand Adrien lui touchait les bras de ses mains ou de sa joue brûlantes, ou quand il se jetait à ses pieds et lui enlaçait les genoux, son plaisir dépassait de beaucoup tout ce qu’elle savait de l’amour charnel, et elle résistait difficilement au besoin de prendre la tête du jeune homme et de la couvrir de baisers. Et même, un jour qu’elle surprit Adrien le visage enfoui dans ses corsages pendus dans l’armoire, elle en fut tellement émue, qu’elle lui dit :

— Embrasse-moi, sagement, ici, sur le cou.

— Non ! — répondit Adrien, — sur le cou j’embrasse Julie. À vous, je vous embrasserai les pieds.

Et il se jeta à terre et les lui baisa.

« Qu’il est bête ! » — pensa-t-elle les joues en flammes.

Chair dévorante de femme ou grâce idéale, bonté des hommes, désir de justice, amour de la vie, révolte, tout cela, pêle-mêle, Adrien l’enfermait dans son cœur et le promenait journellement dans ce port en effervescence. Là, il aimait à plonger son être bouillonnant, dans le vacarme des cris, les sifflements des sirènes, la bousculade, la poussière, la sueur. Là, les hommes étaient tous bons. L’héroïque dieu Travail les engloutissait dans son vertigineux tourbillon d’activité, besogne à la tâche où chacun, se crevant, pouvait faire sa belle journée. Le torse et le visage embrasés et boueux, fébriles, les yeux injectés de sang, ils couraient en files inin-