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jusqu’à la fin au plaisir de s’asseoir confortablement sur les gros revenus de ses bouquins. Tant pis pour les disciples qui se sont fait casser la figure, poussés par la beauté des écrits du maître. Non. J’aime mieux Georges Sorel. Il est bien plus conséquent avec lui-même.

— Tu sais que je ne suis pas anarchiste, — dit Adrien, — mais, parfois, j’approuve votre action directe, la suppression de celui qui est l’ennemi de l’humanité, ou le sabotage, la destruction des machines qui enlèvent aux hommes le pain quotidien. Certes, cela ne mène à rien, mais c’est une satisfaction du cœur. Ainsi, les trois élévateurs flottants qui arriveront sous peu à Braïla c’est avec plaisir que je les verrais sauter, quitte à les voir remplacer, l’année suivante, par un nombre double.

— Je n’ai rien entendu dire au sujet de ces élévateurs flottants, — dit Rizou. — En as-tu la certitude ?

— Ils seront en état de marche dans quinze jours. Mais n’en parle à personne.

— Je n’ai pas l’habitude de me déboutonner, tu le sais bien.

Rizou changea aussitôt la conversation. Peu après, ils se séparaient. Adrien insista pour fixer un prochain rendez-vous. L’anarchiste refusa.

L’affaire des nouveaux élévateurs était d’une importance capitale pour tout le commerce de l’exportation des céréales de Braïla, mais elle l’était surtout pour les deux maisons principales, Thüringer et Carnavalli, qui faisaient venir ces trois machines à leurs risques et périls. Les péripéties dramatiques qui avaient accompagné, dix ans plus tôt, l’installation des deux élévateurs sur rails des docks, étaient encore dans la mémoire de chacun. Et pourtant, c’était l’État qui avait introduit cette innovation, ce qui n’avait pas empêché les débardeurs de prendre les machines d’assaut. Qu’allait-il se passer maintenant que de simples particuliers, et des étrangers par surcroît, voulaient prendre cette initiative ?

Le gouvernement, pressenti par les intéressés, avait répondu qu’il ferait tout son possible pour maintenir l’ordre ; toute-