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avec des Roumains, être « nourrie quatre fois par semaine et battue tous les jours ».

— Ça ne fait rien, madame Charlotte, — répliquait Lina, dite « la Bucarestoise », une mignonne jeune femme, dont le premier et court ménage avait été justement de cette espèce-là, — ça ne fait rien ! Mon Aleco me nourrissait mal, il est vrai, et me battait tous les jours, comme vous dites. Mais, au moins, lorsqu’il m’arrivait de le tromper, c’était une fête ! Il me battait encore, naturellement, car il savait que je le « faisais exprès », pour le narguer, et c’est précisément ce qui me réussissait à merveille. Après m’avoir toute couverte de bleus, corps et visage, il m’ordonnait de m’habiller comme pour une noce, courait chercher la plus belle voiture de la ville, et nous voilà partis pour le parc du « Monument ». Une fois là, c’était à notre table que venaient jouer les meilleurs violonistes du restaurant. Nous mangions, nous buvions et nous nous embrassions, aux yeux de tout un monde jaloux qui, voyant les marques des coups sur ma figure, s’écriait « Dieu, qu’elle est aimée ; Lina la Bucarestoise ! » Mais, maintenant, — soupirait-elle, tirant une bouffée de sa cigarette, — maintenant je ne suis plus ni battue, ni aimée par quelqu’un que j’aime.

Maintenant, la brave Lina était battue et aimée par quelqu’un qu’elle n’aimait pas, car, quittant un jour son Aleco et épousant un vieux et riche cabaretier de la banlieue, celui-ci satisfaisait tous ses caprices, mais ne badinait pas en matière d’amour. Il restait tout le jour cloué à son comptoir, mais il avait l’œil fixé sur les fenêtres de sa femme et un fusil de chasse à ses côtés. Et dès qu’il apercevait un gaillard dans la rue, qui semblait regarder avec trop d’insistance vers ses fenêtres il le mettait en joue et lui tirait dessus, tout simplement, mais il ne visait que les jambes et son fusil n’était chargé qu’avec de la cendrée. Puis, se retournant vers la complice, il l’empoignait par les cheveux et la traînait à travers la cour, jusqu’au dépôt de vins, où il l’enfermait pour vingt-quatre heures, sans nourriture, ni lit. C’était inévitable. Mais tout aussi inévitable et régulière, malgré les mille précautions de son époux, venait la vengeance de Lina, qui disparaissait