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certaine éducation que les cœurs simples des gens du peuple estiment sans réserve. Les trois petites fées blondes, qui fréquentaient l’école catholique, attentives à leur uniforme noir au colleret blanc et constamment soucieuses de leur conduite dans la ville, étaient des modèles que toute maman roumaine donnait en exemple à ses enfants :

— Vous voyez les Allemandes, comme elles sont sages ! Aussi, Dieu les aidera !

Par hasard, Dieu les avait aidées. Et les Allemandes, devenues « grandes dames », n’avaient pas rompu les relations avec leurs camarades d’hier. Elles se faisaient des visites réciproques, mais c’étaient plutôt les amies du quartier du Marché-Pauvre qui venaient voir celles du luxueux quartier du Polygone, dont faisait partie la rue du Jardin-Public. C’était normal, Anna, Hedwige et Mitzi ayant la responsabilité d’un trop grand ménage. Ce l’était encore, parce que l’ami pauvre a toujours besoin de l’ami aisé. Mais le besoin d’aide matérielle, — une dizaine de francs, un vêtement usagé, un peu d’épicerie, — ne venait jamais qu’en second lieu. Le cœur était bien plus exigeant. Il venait s’épanouir dans cette cuisine bourgeoise, comme dans un confessionnal. Les jours d’hiver, surtout, quand les maris sont au café et les enfants à l’école, les malheureuses femmes s’y installaient pour des heures. On ne leur disait jamais qu’elles s’attardaient trop. Car il s’agissait de drames de famille et de scènes de ménage, les uns navrants, les autres plutôt comiques, et il fallait toujours s’attendre à une suite. Et on ne racontait pas seulement ses propres histoires, mais aussi celles du voisin.

Ainsi, toute la vie de la banlieue braïloise défilait sous les yeux des Allemandes, une vie qu’elles connaissaient, en partie directement, mais dont l’horreur leur interdisait toute participation. Madame Charlotte, sévère comme un général prussien, ne recevait personne, n’allait chez personne, et veillait à ce que ses enfants fissent de même, ne leur permettant le contact avec les petites Roumaines que sous sa bonne garde. Aujourd’hui, que ses trois filles étaient à peu près maîtresses de leur destinée et solidement ancrées dans un îlot allemand, elle ne redoutait plus de les voir se « roumaniser ». Ce mot signifiait, dans son langage : épouser ou vivre en concubinage