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pour sa bonne foi. Julie se jeta à ses pieds, lui enlaça les genoux et pleura encore :

— Jamais personne n’a fait ça pour moi. On m’a battue, on m’a fait travailler, aussi bien mes parents que mes maudits amoureux. Mais, gâtée, personne ! Ah, tu seras mon Dieu ! Si tu en aimes une autre, je te tue !

— Merci ! fit Adrien, lui préparant l’œuf.

— Non ! je ne te tuerai pas, je te rendrai fou d’amour !

« Fou, non, pensa Adrien. C’est Anna qui me rendra fou. Mais à cause de ce que je te dois, je ne t’oublierai jamais. »

Là-dessus, il aperçut la silhouette de madame Charlotte qui se glissait le long de la galerie vitrée, pour aller à la cuisine :

— Julie, nous sommes perdus ! Voilà la mémère qui cherche déjà son schnaps. Quand tu auras tranquillement déjeuné, cache le plateau dans ton armoire. Je me sauve !

Il se sauva et fit des détours pour dissimuler la direction d’où il venait, mais la « mémère », qui, bien qu’elle n’eût pas d’odorat, ne manquait pas de « nez », comme disait Anna, flaira le mystère.

— Bonjour, madame Charlotte ! Comment avez-vous dormi ?

La vieille claqua de la langue, appréciant toujours la bonne eau-de-vie qu’Adrien lui achetait. Ce qui ne l’empêcha pas d’avoir l’œil et le propos méchants

— Oui. Bonjour… Bien dormi… Et vous, « monsieur » Adrien ? Ne mens pas, matou ! Je veux être morte si tu n’as pas couché cette nuit avec la Hongroise ! Quelle maison !

Adrien, se fâcha sérieusement :

— Je ne vous mentirai pas, madame Charlotte, mais si c’est là toute votre amitié pour moi, j’aime mieux m’en aller tout de suite.

Et il passa promptement dans sa chambre, qui était à côté de la cuisine. Madame Charlotte le suivit, épouvantée. On ne l’accusait que trop, et avec raison, de mettre en fuite les meilleurs domestiques à cause de son mauvais caractère. Le départ d’Adrien, même d’un Adrien fautif, lui aurait attiré toutes les foudres, y compris celles, rarement brandies, de M. Bernard, le glacial directeur de la maison, qui estimait notre jeune homme depuis qu’il s’était convaincu de son