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Et, oubliant le socialisme, une immense pitié de ce monde égoïste lui broyait le cœur. Il fallait, tout de même, faire quelque chose. Il y avait de vastes masses humaines dignes d’un meilleur sort. On ne pouvait pas les laisser à la merci de la tyrannie, que cette tyrannie vînt d’en haut ou d’en bas. Mais comment séparer les bons des mauvais de la même classe ? Car, il n’y avait pas de doute, tous les bourgeois qui jouaient aux cartes, là, devant lui, ne méritaient pas le gibet, et tous les ouvriers du port ne devenaient pas les créatures des vataf. Il en avait eu la preuve au cours d’une scène à laquelle il avait assisté, quelques jours auparavant, et qui l’avait édifié.

Une délégation de débardeurs était venue prier la maison Thüringer de traiter directement avec elle, pour tout ce qui concernait les chargements des bateaux. Elle offrait des prix inférieurs à ceux que touchaient les vatafs, quoique, en réalité, supérieurs à ceux que les ouvriers obtenaient de leurs bourreaux.

— Nous voulons supprimer les vatafs, — disaient les débardeurs ; — autrement, nous les massacrerons tous un jour. Nous n’en pouvons plus ! Et vous, les exportateurs, vous n’avez aucun intérêt à garder ces chiens. Ils sont inutiles. Nous nous chargerons nous-mêmes de la formation des équipes.

C’était un langage qui alla au cœur d’Adrien. La réponse de M. Max, qui écouta les débardeurs, ne lui plut pas moins :

— Nous ne demandons pas mieux que de voir disparaître les vatafs, qui nous dictent les prix et qui vous écorchent. Nous vous serions même reconnaissants, si vous arriviez à nous débarrasser de cette lèpre, tout en vous en débarrassant. Seulement, voilà : nous ne pouvons pas traiter avec la masse. Quelqu’un doit signer avec nous des contrats. Et ce quelqu’un ne pourrait être que le représentant d’une organisation dans le genre de celles qui existent à l’étranger et qui s’appellent des syndicats. Organisez-vous donc en syndicats ouvriers. Les lois du pays le permettent. Ensuite envoyez-nous vos chefs. Nous traiterons volontiers avec eux. Tels que vous êtes, là, vous ne représentez personne.

Adrien ne put comprendre ce conseil dans la bouche d’un