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l’industrie était nulle, ces hommes constituaient, à peu près, toute la classe bourgeoise qu’il fallait abattre. Très bien. Voyons, toutefois, ce qu’ils sont.

Leur qualité humaine était celle de la majorité des hommes : esprit médiocre ; moralité médiocre. Ils avaient un penchant pour la jouissance matérielle. Dans aucune de leurs réunions, Adrien ne les avait entendus parler des arts, de la vie. Il était certain que ces messieurs et leurs épouses ne savaient de Tolstoï, d’Ibsen ou de Balzac, pas même ce qu’il en savait, lui, Adrien. Cependant, ce n’était pas pour cela qu’il se serait chargé de leur couper la tête, car, dans ce cas, il faudrait exterminer les neuf dixièmes de l’humanité. Il leur accordait même une bonne note pour leur cœur : ils étaient aimables, civilisés, humains avec le pauvre. Ils détenaient entre leurs mains une force dont les ouvriers étaient totalement dépourvus : l’intelligence approfondie des affaires. Bien plus, un mécanisme d’une complexité redoutable était à la base de ce commerce plein de risques. Il y avait là un important appareil social qu’il fallait connaître à fond, avant de toucher à son fonctionnement.

C’est là qu’Adrien devenait intraitable : la classe ouvrière ignorait le premier mot de la direction des grandes entreprises sociales ; elle n’était qu’un troupeau de moutons, auxquels il fallait tout apprendre. Comment mettre le gouvernail du monde entre les mains d’une classe aussi dépourvue de compétence et d’esprit d’initiative ? Et pourquoi, au lieu d’ameuter les miséreux et de se contenter de leur apprendre des chansons révolutionnaires, ne leur enseignait-on pas plutôt la technique des affaires ? Où était l’école socialiste, chargée de la formation préalable des élites ouvrières destinées à prendre un jour la direction du monde ?

Mais le problème avait un autre côté qui troublait profondément Adrien. C’était le côté moral.

On accusait la bourgeoisie d’être malhonnête, débauchée, vorace. Mais Adrien constatait que la classe ouvrière souffrait des mêmes vices. Elle en souffrait, lorsqu’elle le pouvait. Réduite à la misère noire, elle était sublime, bien entendu. Mais, dès que les circonstances le lui permettaient, elle atteignait vite au faîte du crime, laissant de beaucoup en arrière