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gâteaux et boissons. Toutefois, un des deux domestiques devait, à tour de rôle, se tenir prêt à répondre à l’appel de la sonnerie, jusque vers onze heures. Ce soir-là, c’était le tour d’Adrien.

Mais il ne faisait pas seulement son devoir. Il semblait couver la maison, comme une poule. Il aimait ses patrons et sympathisait avec presque tous leurs invités, et un souci constant lui dictait de veiller à ce que rien de désagréable ne leur arrivât. Or, il avait justement des raisons de redouter des difficultés.

Depuis un long moment, il voyait que seule la brave madame Hedwige faisait les honneurs de la maison. Anna et Mitzi s’étaient éclipsées. Et, d’un instant à l’autre, il s’attendait à voir M. Max se lever, aller déambuler le long des corridors noirs, appelant de sa tendre voix gutturale

— Maus ! Mitzi ! Êtes-vous couchées ?

Elles n’étaient pas couchées, Adrien le savait aussi bien que la vertueuse Hedwige. Elles étaient, l’une, avec son professeur de gymnastique en train de parler à travers les barreaux d’une fenêtre ouvrant sur le Jardin Public ; l’autre, se faisait dorloter sur les genoux de son fiancé, dans le bureau de M. Max. Et si Hedwige, brouillée avec ses deux sœurs, ne voulait plus se mêler de leurs affaires, Adrien, lui, s’en mêlait. Héroïquement. Car il était un peu leur complice.

Pour Anna, il nourrissait même une estime compatissante, depuis qu’il avait compris. On faisait parfois, à la cuisine, des allusions et des plaisanteries assez transparentes : M. Max n’avait jamais été pour sa femme autre chose qu’un « père ». Il questionna un jour sa mère à ce sujet, et elle lui confirma la défaillance capitale du mari, par ce mot populaire :

— Oui : on dit qu’il est « lié ». Mais elle le savait avant de l’épouser.

Quelle l’eût su ou non, cela n’avait aucune importance pour Adrien. Elle était, à ses yeux, une martyre, car il la savait honnête femme jusqu’au fond de l’âme. Depuis qu’elle avait épousé M. Max, on ne lui connaissait aucune liaison. Et il était témoin des inquiétudes de conscience qui suscitait en elle son flirt avec le professeur. Il apprécia hautement sa réserve, mais il la jugea déplacée, malsaine, et décida d’intervenir. Il lui parla, adroitement. Tout en ménageant sa pudeur, sans la pousser aux aveux, il décréta que cette façon