Page:Revue de Paris - 1932 - tome 5.djvu/765

Cette page a été validée par deux contributeurs.

finissait par vivre dans une sorte de fièvre permanente. Il aurait voulu se mêler de tout : des affaires de la voisine, qui ne savait pas allumer le feu et qui emmaillotait son enfant de manière à l’étouffer ; des affaires de la commune qui semblait ne faire balayer les rues de la périphérie que pour mieux asphyxier ses habitants ; des affaires des gouvernements successifs qui ne s’entouraient jamais que de fonctionnaires gaspilleurs.

Pourquoi le monde était-il frappé de toutes ces tares : ignorance, incapacité, immoralité ? Ne pouvait-il pas se donner des chefs propres à lui montrer le chemin du bonheur ? Manquait-on, à ce point, de chefs de génie ? Ou bien ceux-ci étaient-ils systématiquement écartés de la direction du monde ?

Ces problèmes désarmaient Adrien. Plus il s’en occupait, plus il s’embrouillait. Car il ne savait pas si l’homme est né bon ou méchant. Là était la clef du dilemme. Les réponses de Mikhaïl, à ce sujet, ne le satisfaisaient pas. Mikhaïl était trop pessimiste. Pour lui, le monde a toujours été tel qu’on le voit, et il le restera. Rien à y faire. Aussi, réduisait-il le monde à l’individu : bon, il l’admettait ; mauvais, il s’écartait de son chemin.

— C’est tout ce qui est en mon pouvoir, — disait-il. — Je peux encore rester honnête et ne faire de mal à personne. Mais je ne crois pas aux « classes » ni à la « lutte des classes », comme les socialistes. Je crois à la lutte des hommes, quoi qu’en dise Karl Marx.

Pendant leur séjour d’une année à Bucarest, Mikhaïl avait vu Adrien aller souvent aux premières réunions de propagande socialiste, et ils en causaient parfois, assez rarement, car le noble Russe déchu éprouvait de l’aversion pour tout ce qui touchait au socialisme.

— C’est la doctrine des primaires, des simplistes, des esclaves, — lui disait-il. — Elle ne peut satisfaire que les masses qui ne demandent à la vie qu’un peu de pain blanc, un peu plus de liberté, un peu moins de guerres. Elle ne te satisfera jamais, toi qui vas jusqu’à te révolter contre le chat qui attrape une hirondelle. Les religions, aussi, satisfont plus d’un milliard d’hommes, mais c’est parce qu’elles ne leur demandent que d’aller régulièrement à l’église.