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Adrien fut curieux de voir comment cet homme du monde entendait faire sa cour. Connaissait-il le passé modeste de madame Thüringer et sa récente ascension ? La traitait-il en ancienne domestique, ou en grande dame ?

À la fin du marché, il était fixé. Ce professeur était pareil à la plupart des professeurs, c’est-à-dire guère différent de la plupart des ouvriers. Il ne cherchait pas d’abord à savoir à quelle personnalité il avait affaire. Il étalait tout simplement ses lieux communs, son esprit facile, sa voix de circonstance, un regard et un sourire qui ne pouvaient pas ne pas être fascinants.

Il avançait ainsi vers la marchande à laquelle parlait Anna, roulait des yeux amoureux et demandait :

Ces œufs, n’y a-t-il pas un poulet dedans ? Dans ce cas, il faut que je les paye au prix du poulet ! Je ne veux pas vous tromper !

Anna souriait, par bêtise ou par complaisance, mais Adrien avait envie de lever les bras au ciel et de crier au professeur de gymnastique « Mon Dieu, que deviendrez-vous, monsieur, avec un tel esprit, s’il vous arrive de vous trouver en présence d’une femme de génie ? Parfaitement : une femme de grand caractère, possédant une forte intelligence et beaucoup de savoir ! Pourquoi pas ? Cela arrive très rarement, mais cela n’arrive pas qu’aux artistes consacrés. Le génie n’est pas toujours de notoriété publique. Mon Mikhaïl, justement, est un homme de génie, sans être artiste, et il pourrait, donc, y avoir aussi des Mikhaïl-femmes. Eh bien, que ferez-vous devant une telle femme, avec votre titre de professeur et votre énorme bêtise ? »

Adrien pensa cela, mais il ne dit rien. Il n’avait pas encore le courage de dire aux hommes ses pensées. Il manquait encore de confiance en lui-même. Parti de trop bas, ne possédant, pour toute instruction que l’enseignement de l’école primaire, il se sentait humilié devant les diplômes, les titres et le savoir hiérarchique.

Néanmoins, il commençait à s’apercevoir de l’inanité de la plupart de ces valeurs moulées en série et il en perdait, lentement, le respect. Certes, il n’exigeait pas que l’homme fort fût toujours un oracle de sagesse. À Mikhaïl aussi échappait,