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marchandise, produit de leur petite ferme, œufs, beurre, fromage, crème, primeurs, s’étale sur le pavé. Elle est offerte aux visiteurs dans une criaillerie assourdissante et avec des gestes désespérés. Les appels flatteurs, l’énumération des articles exposés, les arguments attendrissants, se croisent dans l’espace avec la parole amère, le sarcasme, l’expression injurieuse, selon que vous avez apprécié ou méprisé la marchandise. Car, même avant d’en débattre le prix, ce qui n’était pas une petite affaire, on ne manquait pas de goûter toujours le beurre, la crème, le fromage, pour se convaincre de leur qualité, et il arrivait plus d’une fois que l’on s’en éloignât, avec une grimace de dégoût. En ce cas, il ne fallait pas trop se soucier du cortège d’amabilités qui vous accompagnait.

Anna s’attardait, régulièrement, dans ce marché paysan, après avoir fait d’abord sa provision de viande. Elle était connue de toutes les commères, vivement flattée et tout aussi ardemment conspuée. Ici, elle faisait preuve de mauvais caractère et d’esprit d’avarice, se montrant difficile, chicaneuse et marchandant outre mesure. Adrien la plaignit, dans sa pensée, et s’attrista. Pourquoi cette laideur sur sa grâce ? Elle aurait dû être aimable et juste, avec ces braves paysannes. Comment la beauté peut-elle être hargneuse et avare ?

Tandis qu’il la suivait, silencieux, il vit un monsieur qui les suivait, à une certaine distance. Anna, préoccupée par ses achats, ne l’aperçut qu’un peu plus tard, se troubla et inclina la tête pour répondre au salut doucereux qu’il lui faisait, puis elle feignit de ne plus faire attention à lui. Cette attitude digne réjouit Adrien, convaincu de se trouver en présence du professeur de gymnastique. L’homme lui déplaisait franchement, avec sa moustache à la hongroise, ses joues roses, les cheveux pommadés, des yeux langoureux et sa canne à poignée d’argent, représentant une tête de lévrier, dont il paraissait très fier, car il la portait sur l’épaule, bien en vue. Mais il était bâti en athlète, comme il plaît à presque toutes les femmes, qu’elles soient belles ou laides, jeunes ou vieilles. Sa mise était impeccable. Sa démarche, dont l’affectation était visible, imitait le petit pas des Espagnols et le dandinement de l’oie. Un perpétuel sourire semblait figé sur ses lèvres.