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eux : vous êtes, vous serez plutôt, la source d’énergie qui me fera supporter mon état de domestique, dans cette maison, et cela, que vous le vouliez ou non, car je ne vous demande rien. Ce que je prends, moi, nul ne peut me le refuser. Cela flotte dans l’air.

Cette fois, Anna fut dépitée de ne pouvoir se rendre compte si Adrien lui faisait des compliments ou s’il se moquait d’elle. Toutefois, le comparant à ses nombreux courtisans, elle put constater qu’Adrien était le seul homme qui lui eût jamais parlé avec un visage aussi inspiré, un regard aussi profond. Elle en fut flattée, car elle le considérait comme un garçon très instruit. Et, voulant le confondre en lui opposant ses propres connaissances, elle dit, toute souriante, lui frappant la joue du dos de sa main gantée :

— Tu me rappelles le personnage d’un roman intitulé Sa Majesté l’Argent et Son Altesse l’Amour !

Adrien la regarda, ébahi, et pensa :

« Je ne te rappelle rien du tout, mais tu m’es chère quand tu me souris avec tes grands yeux bleus, tes fossettes et les deux rangées de tes belles dents. C’est pourquoi je travaillerais aux mines, si tu voulais m’y envoyer, et même je supporterais que tu sois abordée par tous les professeurs de gymnastique du monde. »

— Si vous aimez les romans, lui dit-il, permettez-moi de vous en procurer, mais ne touchez plus à toutes ces « Majestés et Altesses » en fascicules. Bons pour les domestiques.

À cette époque, aux environs de 1900, le Grand Marché de Braïla offrait un spectacle digne du pinceau d’un peintre. Ce n’étaient pas les produits qui méritaient cet hommage de l’art, mais leurs vendeurs, ou plutôt leurs vendeuses.

Toutes paysannes. Des vieilles, aux pommettes encore belles, au regard polisson, qui démasque la pensée et aux lèvres en cul de poule, aussi promptes au compliment qu’à l’invective. Des jeunes mariées allaitant leur enfant. Des jeunes filles à la mine pudibonde, au coup d’œil furtif.

En été, leurs jupes, corsages et tabliers, aux couleurs innombrables, offrent l’aspect d’un champ de fleurs sauvages. La