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pouvait s’expliquer autrement le caractère de son domestique-ami.

« Oui, se dit Adrien, rectifiant sa pensée du matin : il n’y a rien qui puisse dépasser le bonheur dont vous comble une femme gracieuse. Et, cependant, il y a tout le reste. C’est bien dommage ! »

Il recevait toujours un choc au cœur, lorsqu’il constatait le néant ou la fragilité d’un sentiment. Il aimait, en toute chose, l’absolu. L’enlaidissement ou la dégradation d’un de ses élans faisait des vides dans son âme, dont il ne pouvait vaincre l’amertume. La blessure lui semblait inguérissable.

Ainsi, pourquoi fallait-il qu’Anna parlât de cette stupide question de « salaire », au moment même où elle le rendait si heureux ? Il ne lui demandait rien, pas même la permission de baiser son gant ou une manche de son corsage. Et, d’ailleurs, il aurait pu baiser, avec un bonheur égal, ses vêtements vides, séparés de son corps. Car, émanant d’elle qui était un modèle de grâce, la moindre chose le rendait heureux. Pourquoi, alors, parler « salaire » ?

Mais elle se chargea de lui faire promptement oublier ces pensées tristes. Remarquant son silence prolongé, elle dit :

— Sais-tu pourquoi maman était si furieuse ? Elle m’en veut, parce qu’elle me soupçonne.

— Quel soupçon ?

— Un amant.

— En avez-vous, vraiment ?

— Pas du tout. Un flirt, c’est tout, je le jure !

— Et qui est ce flirt ?

— Tu le verras tout à l’heure, au marché. C’est un professeur de gymnastique.

— J’espère qu’il ne vous aborde pas dans la rue. Dans ce cas j’aime mieux ne pas être présent, je retourne tout de suite à la maison.

Et il s’arrêta. Elle le saisit par le bras, riant :

— Es-tu amoureux de moi, par hasard ?

— Amoureux, non ! C’est votre professeur de gymnastique qui est amoureux, comme pourraient l’être les voituriers de tout à l’heure, qui vous hélaient, pourquoi pas ? Pour moi, vous êtes autre chose, que vous ne pourriez pas être pour