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image en jupon avec ses belles épaules à demi couvertes ; son joyeux rire, tout plein de mystère ; le coup de gant qu’elle lui avait donné sur la joue et dont il gardait encore le parfum ; enfin, pour la robe de mousseline qu’elle portait si gracieusement, pour sa démarche nonchalante. Il voulait, mais ne pouvait lui dire combien il lui en était reconnaissant.

Certes, il n’était pas dénué d’une certaine facilité d’expression ; mais, précisément, il redoutait les mots, car il la sentait, elle, en ce sens inférieure à lui et peut-être incapable de comprendre à travers eux la pureté de ses sentiments.

— Tu ne m’as pas dit, — fit-elle, si tu es content du gros salaire que j’ai obtenu pour toi.

Adrien s’arrêta suffoqué :

— Je me fous du « gros salaire » s’écria-t-il. — Je ne travaille pas pour des salaires.

Elle le regarda étonnée, confuse :

— Pourquoi travailles-tu, donc ?

— Pour vivre ! Et vivre, comme je l’entends, n’a qu’un très faible rapport avec le salaire. Tenez, par exemple : je suis prêt à travailler chez vous à condition d’être nourri sans aucun salaire. Et si un jour je manque de vêtements et de chaussures, je ne vous les demanderai pas, j’irai travailler, la nuit, pendant quatre heures, dans une boulangerie, et au bout d’un mois je m’en achèterai. Comprenez-vous ça ?

Il l’arrêta au milieu du boulevard, la fixant dans le blanc des yeux. Elle voulait échapper à ce regard embrasé, se remettre en route et ne savait que faire.

Des voituriers du port, des gaillards, passant près d’eux et croyant à un flirt, crièrent :

— Hé, la belle ! Prends garde il va te manger.

Adrien les lui montra du bras :

— Voilà ceux qui travaillent pour des salaires et seraient heureux d’en toucher de « gros » !

Et il la lâcha, reprenant la marche sans parler.

« Quel diable ! pensait Anna. Sa mère disait vrai quand elle nous racontait qu’il passait la moitié de ses nuits à lire. Ça se voit. »

Ça ne se voyait pas, bien entendu, mais la jeune femme ne