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— Puisqu’il le faut…

Un air de reproche ternit le regard de la jeune femme, attristant son beau visage :

— Comment « Puisqu’il le faut » Il ne le faut pas absolument. Il y a des portefaix, au marché. J’en prends toujours ; mais il n’y a rien de lourd à porter aujourd’hui, et puis, aussi, j’aime que tu m’accompagnes, c’est pour cela que je t’y invite. Cependant comme tu voudras.

Et elle fit un pas vers la porte. Adrien lui barra le passage, blême. Il pensait : « Comment ai-je pu proférer une telle idiotie ! » Elle lui fouetta la joue avec ses gants :

— Allons… Viens.

Il courut chercher le panier, se disant : « C’est simple, seule la femme peut vous donner un tel bonheur ! Soleil, liberté, amitié, lectures ce ne sont là que des accessoires ! » Et il était malheureux de ne pas se trouver seul avec celle qui était pour lui cette source de bonheur, de ne pas pouvoir se jeter à ses pieds, baiser le ciment de la cuisine.

Dans la chambre à provisions, où se trouvait le panier, il marcha sur un légume pourri et faillit tomber. La pièce n’ayant point de fenêtre, il distingua péniblement les objets, mais une odeur répugnante l’avertit de la saleté qui y régnait.

— Madame Charlotte, dit-il, en sortant, vous me permettrez de mettre de l’ordre dans la camara : ça ne sent pas très bon, là dedans.

— Je n’en sais rien. Je suis vieille et je n’ai point de nez.

Elle voulait dire qu’elle n’avait plus d’odorat. Anna, mettant ses gants, murmura :

— Tu n’as point de nez, mais celui que tu as, tu le mets dans les affaires des autres.

— Hum ! — fit Adrien — la mère et les filles n’ont pas l’air de faire trop bon ménage !

À ce moment la voix de M. Max retentit sur la galerie vitrée qui longeait la cuisine.

Maus ! Maus ! Le lait sent le pétrole, aujourd’hui !

C’est sa femme qu’il appelait Maus[1].

— Voilà ! — s’écria Anna. — Quand ce n’est pas le rôti ou le pain, c’est le lait qui sent le pétrole. On n’en finira jamais

  1. Souris.