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pas songé ? Certes, à part la servante, les autres sont ses maîtresses, auxquelles il doit du respect. N’empêche, c’est un grand gaillard de dix-neuf ans, qui ignore tout et qui est d’autant plus curieux de telles choses. Pourtant, elle était bien obligée de le « fourrer » dans ce harem, car elle ne pouvait plus subvenir à ses besoins.

On rappela Adrien, au moment où la cloche du pensionnat voisin sonnait la rentrée en classe. Huit heures. À la cuisine, plus de femmes qui vous brûlent la vue. Madame Anna, debout, habillée, poudrée, charmante dans sa toilette d’été, riche en couleurs, et toute à son désir de paraître digne, sérieuse, aborda Adrien de front.

— Voilà, mon ami trois bureaux et les couloirs à nettoyer et à mettre en ordre tous les matins, ainsi que les deux cours, celle des maîtres et celle de service. Puis, l’argenterie et les courses. C’est là ton travail quotidien et ce n’est pas peu. Il faut que tu y arrives promptement et irréprochablement. Mais tu seras récompensé. J’ai obtenu, pour toi, de M. Max, le plus haut salaire qu’on ait payé, jusqu’ici, à un garçon : quatre-vingts francs par mois et tout l’entretien, nourri, blanchi, logé et…

Et, brusquement, elle se mit à rire comme une folle, rougissant, malgré la poudre, et se cachant le visage. À cette minute elle avait l’air d’une fille de seize ans.

Sa mère intervint, grave, presque furieuse :

— Blanchi, nourri, logé… et quoi encore ? N’as-tu pas honte ?

— Et pourquoi aurais-je honte ? riposta-t-elle, tout essoufflée. — J’ai voulu dire qu’Adrien aura encore des cadeaux, et cela m’a fait penser à autre chose. Ce n’est pas permis ?

— Non ! Non ! Tu penses à trop de cho-o-oses, depuis que tu es devenue « madame Thüringer », et cela me déplaît, voilà !

Anna se retourna, apaisée, mélancolique, vers le jeune homme :

— Allons, Adrien, prends le panier et accompagne-moi au marché. Veux-tu ?

« Je t’accompagnerais dans l’enfer même », pensa Adrien. Mais il répondit :