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dangereux, lourd de reconnaissance et ne pensant plus à rien, à rien. Légèrement myope, mais tout de même assez pour ne pas pouvoir distinguer les détails d’un objet situé à cinq mètres de lui, il ne regarda plus madame Thüringer. Il venait d’atteindre à l’un des sommets de l’existence heureuse et ne concevait, pour l’instant, rien qui pût aller plus haut. Jamais encore la vision et le toucher d’une femme ne lui avaient transmis une telle chaleur.

— Bonjou-ou-our, Adrien ! — dirent tout à coup deux voix de femme.

C’étaient Hedwige, l’aînée, et Mitzi, la cadette des trois sœurs Müller. La première, mariée à un Grec désœuvré, avait vingt-sept ans et occupait, dans la maison Thüringer, la place de lingère. Mitzi était du même âge qu’Adrien.

Anna fut heureuse de les voir arriver, car, à son avis, Adrien sentait trop le bouc, et elle ne voulait pas être seule à attirer ses regards, malgré cet air confus, préoccupé, qu’elle lui découvrait.

— Alors, Adrien, nous allons être, de nouveau, ensemble, comme à la place du Marché-Pauvre, il y a six ans ! — s’écria Mitzi, venant lui secouer la main. — Raconte-nous un peu ce que tu as fait pendant tout ce temps.

— Rien qui vaille, — répondit Adrien, sans élan.

Il n’aima pas qu’on le fît redescendre de ses nues, d’autant plus que Mitzi, comparée à Anna, lui sembla une vraie jument, tant elle avait grandi et grossi. Il trouva Hedwige plus mignonne, plus fine, quoiqu’elle fût la plus âgée des trois. Mais il ne voulut pas manquer de délicatesse et complimenta Mitzi pour sa beauté.

Maintenant, il y avait à la cuisine trois belles femmes jeunes, en jupon blanc, jambes nues, épaules et seins péniblement couverts par un linge de toilette mal attaché. Elles venaient se faire friser les cheveux devant le fourneau et remplissaient la cuisine d’une odeur de chair saine. C’en était trop, même pour un myope comme Adrien, qui trouva raisonnable de sortir dans la cour de service, pour caresser les deux beaux chiens.

Sa mère en fut heureuse. Dieu, toutes ces femmes à moitié nues, à cette heure, tous les matins ! Comment n’y avait-elle