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beaucoup, beaucoup plus gracieuse que lui, en dépit de toutes les misères que cette passion comporte. Il la trouvait riche de couleurs, de lignes délicates, de formes voluptueuses, de finesse sensuelle. Elle était le joyau de l’existence du mâle. Celui-ci pouvait être bon, fort, viril, vaillant, mais il lui manquait la première qualité de l’être humain, en matière de sensualité, la grâce. Une femme, passant près d’un homme, pouvait le rendre heureux et lui laisser un souvenir ineffaçable, rien qu’en le frôlant de sa grâce. Le rire et les pleurs d’une femme rappellent constamment le plus bel âge de la vie humaine : l’enfance. Et jusqu’à son courroux qui vous fait sentir que la femme n’est pas faite pour la peine qui l’enlaidit.

Aussi, Adrien voyait-il dans la femme la plus vivante de toutes les œuvres d’art. Et, souvent, heureux de la place énorme qu’elle occupait en lui, ne fût-ce que pour une heure, il se demandait si la joie qu’elle lui donnait ne valait pas le bonheur qu’il avait éprouvé en lisant telle page de Balzac, en aimant, de toute sa passion amicale, Mikhaïl, ou bien en adorant telle journée de liberté totale au bord de son cher Danube.

Au fond, ces trois grandes branches de l’existence passionnée doivent avoir un même tronc et une même racine, se disait-il. Car il commençait à sentir que la chaleur et le degré de jouissance en étaient les mêmes. Un amour, cédant le pas à un autre, ne diminuait pas son être ; au contraire, ils se complétaient, l’enrichissant et le grandissant. Bien mieux, par leur nature, profondément différente, ces trois passions excluaient la brûlure de la rivalité, dont l’aiguillon s’attarde toujours à stimuler la rancune, cette fille de la haine sans noblesse.

Adrien remarqua que la servante hongroise manquait de grâce. Elle n’était qu’appétissante, avec sa jeune chair blanche. Il la désira un moment, puis sa coquetterie peu gracieuse le laissa indifférent. Il se pelotonna davantage sur son tabouret et pensa à Mikhaïl, à sa dernière lecture, à sa liberté qui allait sombrer dans un instant. L’idée d’être domestique l’attrista un peu, mais il s’efforça de n’être pas trop malheureux. Après