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épouser une fille de « bonne famille » et, surtout, bien dotée. Là-dessus, gros parvenus ou pauvres hères, les autochtones, sont du même avis.

Sur ce point, Adrien n’avait pas d’avis, pas d’idée arrêtée. Même il se demandait parfois pourquoi les gens mêlaient des idées avec de la chair appétissante. Comment pouvait-on parler mariage, dot, condition sociale, intelligence et culture, devant une question de chair ? Certes, de la chair, il ne connaissait encore que la couleur et le parfum, mais cela lui suffisait pour se rendre compte que, malgré sa tête farcie de songes, il devenait un tout petit animal docile, dès qu’une jeune femme lui cinglait la vue de son éblouissant trésor charnel. Ah, dans ces moments-là, au contact de cette main invisible il était près à s’évanouir de joie. Elle annulait violemment une riche partie de lui-même, pour le combler d’une autre, bien différente, mais également riche. En lui s’anéantissait un lourd trésor de pensées tumultueuses, qui formait la base de sa vie intime : beauté des livres et de la nature, amitié, aspirations, idées de justice sociale. C’était tout son avoir, ramassé avec ses deux bras d’enfant pauvre, qui s’éclipsait. Pour un instant. Pour laisser la place libre à un orage dévastateur qui débutait, tendrement, comme une brise caressante : la poussée irrésistible vers ce trésor charnel de la femme. Le toucher du doigt, de la main et, parfois, peut-être y coller sa joue embrasée. Il ne demandait pas davantage. Il ignorait même de quoi était fait ce davantage, car sa passion n’admettait pas la vulgaire expérience qui court les rues. Cette expérience finale des autres dans le domaine de la chair, il la jugeait trop banale, trop limitée, trop dépourvue d’exaltation. Non ! Ses camarades, ou ils ne savaient rien, ou bien ils étaient incapables de lui faire entrevoir l’étendue passionnelle de cet acte final. De toute façon, il repoussait les descriptions qu’on lui en faisait. Elles étaient trop grossières, souvent basses, et parfois même injurieuses. La femme était humiliée, réduite au rang d’objet à plaisir, esclave du mâle. Ou bien on faisait d’elle une ennemie, un tyran.

Elle n’était ni l’un ni l’autre. Pour Adrien, elle était une associée de l’homme, sa joyeuse complice ou partenaire. Et