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n’est pas d’homme qui n’ait une sorte de ménechme et à coup sûr plusieurs dans le monde. Car ce ménechme a le sien qui a le sien aussi, mais la plupart du temps, ils ne se connaissent point entre eux. Voilà pourquoi il m’arrive aussi de ne pas trouver facilement à qui ressemble cet inconnu qu’un instinct puissant me force à vouloir reconnaître. Cette ressemblance vague, éloignée, mystérieuse, me tourmente quand même je ne me soucie, ni du ressemblant ni du ressemblé, il faut que je la trouve enfin. Mais elle est si imparfaite que je me demande encore comment j’ai pu la chercher et la pressentir. Alors, par la même liaison d’idées, je cherche et retrouve l’intermédiaire qui établit ce rapport, si positif, et pourtant si éloigné. Alors ma mémoire me présente un individu à moi connu, qui tient des deux autres, du ressemblé et du ressemblant, comme je me suis permis de dire tout à l’heure. Cet intermédiaire n’est pas toujours direct. Il est souvent rattaché à ses deux extrêmes par d’autres intermédiaires qui tiennent de lui et de l’un ou de l’autre de ces extérieurs, si bien qu’une chaîne de types plus ou moins divers, mais montrant bien un type principal, se rétablit dans mon souvenir et m’explique comment l’étranger ne m’a point paru étranger. Cette ressemblance porte tantôt sur les traits, tantôt sur l’attitude, tantôt sur la voix, tantôt sur les habitudes du corps et de l’expression, tantôt sur toutes ces choses réunies, tantôt sur quelques-unes, mais jamais sur moins de deux : autrement la ressemblance serait trop lointaine pour me frapper ; car je déclare que ceci n’est point chez moi une affaire d’imagination, mais affaire d’expérience et opération puérile peut-être de l’esprit, mais involontaire, impérieuse et faite en conscience, car je n’y résiste plus, car je souffre trop quand je veux m’y soustraire et accepter l’individu qui se présente à mes regards comme un individu détaché de la chaîne de ceux qui remplissent mon passé ; jusqu’à ce que je l’aie rattaché à cette chaîne, cet être-là m’est suspect, gênant, antipathique, c’est pour moi non le secret (car la chose reste mystérieuse et bizarre à mes propres yeux, tant elle est peu systématique !), mais c’est la pierre de touche de mes sympathies spontanées et durables ou de mes antipathies subites et invincibles. Ô Dieu ! quel effroi,