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qu’on l’avait surnommée la muse de la Patrie : « La muse ment (l’amusement). »

Madame Dorval, à qui madame Dagoult venait de faire mille gracieusetés, se retourne vers moi et me dit : « Comment appelles-tu ce coquillage ? »

Quant à la Didier, Delacroix lui a donné un si drôle de surnom, que je n’oserais l’écrire. Je crois bien que si elle le savait, elle en mourrait de rage. Trois pauvres femmes !

Madame… m’a été longtemps antipathique, mais j’ai toujours estimé en elle de grands côtés de caractère. Elle m’a blessée par des petitesses et les a grandement réparées. Elle est petite, maigre, mal mise et mal faite, jolie pourtant. Elle n’a de grâce que dans les fossettes des joues, et son sourire rachète toute sa personne. La Touche disait d’elle que c’était un joli petit pédant couleur de rose. Chopin dit que c’est un écolier en jupons. Elle avait de superbes cheveux blonds cendrés il y a six ans. En Italie ils sont devenus bruns, ce qui ne lui va pas plus mal. Elle ne les teint pas, car elle n’a pas l’apparence de coquetterie. Elle n’en a même pas assez, car elle manque absolument de charme et sauf Buloz, qui l’a aimée mal et longtemps, je n’ai jamais vu un homme à qui elle plût. Il me semble que si j’étais homme, elle me plairait pourtant, car j’adore les femmes sans affectation et elle est admirablement naturelle. C’est un être très singulier, doué de grandes vertus à coup sûr et rempli de contrastes et d’inconséquence. Perfide sans méchanceté, pédante sans vanité, érudite sans vrai savoir, sérieuse sans profondeur et restant superficielle en voulant toujours aller au fond de tout. Elle a rempli ses devoirs de mère, comme bien peu de femmes eussent été capables de le faire et il ne semble pourtant pas qu’elle ait dans le cœur la plus légère tendresse pour quoi que ce soit. Sa vie est pleine de romans et elle ne vous parle que de ses amours et de ses passions. Elle vous conte ses douleurs du ton le plus tranquille et le plus résolu. Elle vous confie ses faiblesses de la façon la plus cynique. Elle pose en système et met en pratique un amour principal dans la vie et des infidélités à discrétion pour tuer le temps et soulager les nerfs. Vraiment elle n’est pas belle à entendre sur ce chapitre, quoiqu’elle y porte un esprit dégagé et une franchise très