Page:Revue de Paris - 1926 - tome 3.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’extase est une puissance interdite qui se manifeste chez les hommes livrés aux idées abstraites et qui marque peut-être la borne où l’âme peut toucher dans les régions les plus sublimes, mais au delà de laquelle un pas de plus la jetterait dans la confusion et la démence. Entre la raison et la folie il y a un état de l’esprit qui n’a jamais été ni bien observé ni bien qualifié, et où les croyances religieuses de tous les temps et de tous les peuples ont supposé l’homme en contact direct avec l’esprit de Dieu. Cela s’est appelé esprit divinatoire ou prophétique, oracle, révélation, vision, descente de l’Esprit saint, conjuration, illuminisme, convulsionnisme et je crois du moins que ces faits rentrent dans le même fait, celui de l’extase, et Leroux pense que le magnétisme est la manifestation que notre siècle athée et matérialiste a donnée à la faculté extatique. Ce miracle éternel qui est dans les traditions de l’humanité ne pouvait se perdre avec la religion. Il lui a survécu, mais, au lieu de s’opérer de Dieu à l’homme, dans l’ordre métaphysique, il s’est passé d’homme à homme par l’opération des fluides nerveux ; explication beaucoup plus merveilleuse et moins acceptable en philosophie que toutes celles du passé.

L’extase est contagieuse, cela est bien prouvé par l’histoire dans l’ordre psychologique et par l’observation dans l’ordre physiologique. Depuis la sublime descente du Paraclet sur les apôtres, jusqu’aux phénomènes d’épilepsie du tombeau de Saint-Médard, depuis le fakir de l’Orient jusqu’aux passionnistes du siècle dernier, depuis le divin Jésus et le poétique Apollonius de Tyane, jusqu’aux misérables sujets des expériences du somnambulisme, depuis les pythonisses de l’antiquité jusqu’aux religieuses de Loudun, depuis Moïse jusqu’à Swedenborg, on peut suivre les différentes phases de l’extase, et voir comme elle se communique spontanément même à des individus qui n’y semblaient pas prédisposés. Mais ici se présente une difficulté. D’où vient que cet état de ravissement, qui s’est manifesté chez les esprits les plus sublimes et qui fait partie intégrante de l’organisation de tous les grands hommes, philosophes, poètes, se manifeste, d’une autre manière, il est vrai, mais avec autant d’intensité, chez les hommes les plus ineptes et sous l’influence du plus grossier matérialisme ? L’extase est donc une maladie ? À coup sûr, chez le vulgaire,