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en vertu d’un droit, ou d’un pouvoir, j’ai retrouvé cette force que personne ne connaît en moi ! que moi, moi qui sais seul combien j’aime, combien je regrette, combien je souffre.

Piffoël, Piffoël, tu n’en dis rien, toi qui toujours ris, grondes, ou travailles. Toi qui prétends n’être pas malheureux, avoir émoussé tous les aiguillons de la douleur et trouver à l’absinthe le goût du miel, toi qui assures n’avoir pas le temps de pleurer, toi qui ne crois ni à ta peine, ni à celle d’autrui.

Toi, optimiste, en robe pourpre, à qui si peu d’hommes ont surpris un instant de faiblesse, tu connais pourtant bien ce cœur faible qui se fond en sanglots quelquefois quand il se trouve seul avec toi, au lever ou au coucher de la lune.

Tu es un grand maître, oh que je t’ai connu sublime de tendresse ! paternel, persuasif, inspirant de fanatiques dévouements. Pourquoi, vieillard, ton cœur s’est-il endurci ? Pourquoi de tes enfants as-tu voulu faire des esclaves ? Pourquoi le titre de Maître t’a-t-il semblé plus doux que celui de Père ? Et à présent te voilà seul, car les êtres intelligents ne se soumettent qu’à la bonté. Tu règnes, tout tremble autour de toi. Il n’y a pas dans ton domaine un cheveu qui ose se dresser contre toi, et tout frémit au souffle de ta colère, comme les feuilles au vent d’orage. Infortuné ! combien tu souffres, quand tu t’aperçois que tes sujets sont des brutes ou des lâches. Quand tu vois qu’on te craint et qu’on ne t’aime pas. Quand tu fais cette affreuse découverte qu’il n’y a pas d’amour là où il n’y a pas de force, pas de dévouement où il n’y a pas de résistance, pas de plaisir à commander, quand il n’y a pas eu de peine à soumettre !

Esclave de tes esclaves ! tu ne peux les quitter ; car si tu retires ta main de fer de dessus leurs têtes, tu es perdu, ils ne sont pas enchaînés par l’affection. Quitte-les, ils te quitteront ; cesse de les faire trembler, ils diront du mal de toi, cesse de leur être nécessaire, ils te laisseront vieillir seul, mourir seul.

Quel homme avait pourtant mieux compris la puissance de la bonté ! Mais toute puissance enivre l’homme et ne sait s’arrêter nulle part. Il faut qu’il gravisse toujours, espérant toujours trouver une terre promise, qui produise des fleurs et des fruits sans être soignée et cultivée ; et il ne trouve que