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Manfred comme les désespérés empoisonneurs du siècle. Mais ceci est une mauvaise plaisanterie, comme celle qui attribue à Voltaire et a Rousseau notre grande révolution de France. Moi, homme de lettres, j’ai le droit de nier positivement ces miraculeux effets, des productions littéraires. Il faut être imbécile de crédulité comme M. Walsch, ou bouffi de vanité comme nos littérateurs modernes, pour prendre ainsi un effet pour une cause, et pour s’émerveiller de la puissance de certains poètes sur leur siècle, tandis qu’il est simple que le siècle fasse sentir sa puissance sur leurs cerveaux poétiques, et les force, comme autrefois le Dieu, la Pythonisse, de constater, par des cris de douleur ou de colère, l’effervescence ou l’abattement de leurs contemporains, Il est certain que ce cri de révolte ou de détresse, dès qu’il est formulé, acquiert une grande force en tant qu’expression et qu’il devient comme le chant de guerre qui conduit les nations au combat, ou comme le chant de mort qui met les croyances d’un siècle au tombeau. Mais quelle serait la valeur et la force de ces formules si tous les hommes à qui elles s’adressent n’avaient pas l’esprit tout disposé, par la force des choses et par l’effet du temps, à se les approprier et à agir selon ses menaces ou les plaintes du poète, selon les besoins du siècle, résumés, exprimés, et vulgarisés par lui ? Il est l’alambic où viennent infuser toutes les pensées et tous les sentiments d’une génération, le trépied où la Pythonisse viendra rendre ses oracles, mais qui ne saurait, non plus que la peau du serpent, servir à autre chose qu’à provoquer ses convulsions et à réveiller son angoisse prophétique.

Que les esprits lourds et paresseux reculent devant les nécessités de leur siècle, et, ne comprenant ni ses maux ni ses besoins, ni sa grandeur, ni ses misères, s’efforcent brutalement de le tenir garrotté dans les liens du passé, cela n’est pas étrange. Alors toutes ces déclarations ignares, toutes ces indignations ampoulées partent de bouches impures et d’âmes obstinées aux erreurs et aux bassesses des générations précédentes.

On dit que le siècle est en progrès. Si je comprends ce mot, c’est-à-dire qu’il est en travail, et qu’il accouchera d’un progrès, car le progrès, je ne le vois pas encore et il me faut la vue de tout le mal qui règne pour croire à tout le bien qui peut en