Page:Revue de Paris - 1926 - tome 3.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.

non un misérable artiste tourmenté, d’insatiables désirs de succès, mais un écrivain de premier ordre doué de la plus riche organisation et des plus remarquables talents. Avec des ressources si variées et des facultés dont, à la lettre, il ne sut souvent que faire, le champ en apparence illimité du fantastique devait nécessairement l’appeler. Mais à peine s’y fut-il lancé comme écrivain qu’il en vit les bornes et qu’il en connut les voies droites et régulières. Il s’y promena donc avec tout le calme d’un esprit souverainement logique, et c’est au sang-froid qu’il conserve au milieu de ses visions qu’il faut attribuer le grand charme de ses compositions fantastiques. On y sent, toujours (pour continuer à parler la langue ingénieuse de la métaphysique de Sporzheim) l’homme de causalité et d’éventualité, gouvernant et dirigeant l’homme de merveillosité et d’idéalité. Si quelques fois sa définition semble vague au premier abord, il ne faut s’en prendre qu’à l’état de barbarie où en sont encore les plus belles langues humaines, à leur insuffisance pour traduire des intuitions d’un ordre élevé. Au fond ce qu’il sent n’est jamais aperçu à travers le délire de la fièvre, mais peut être examiné au jour de la raison. Sans nul doute il y a une grande science de l’âme, une grande profondeur de pensée sous ces riants fantômes et sous ces emblématiques divagations. Il n’a rien conçu au hasard, il n’a créé des êtres surnaturels qu’en outrant la réalité d’êtres très bien observés, il n’a fait intervenir le diable dans ses extases que comme un principe philosophique. En y songeant avec plus d’attention que le vulgaire ne croit devoir en accorder à des compositions de cette nature, on retrouve dans la réalité la plus naïve, dans l’observation la plus purement physique, le principe de tous ses développements poétiques. Il en serait de même, sans aucun doute, pour les compositions musicales des grands maîtres. Toutes ont un sens traduisible à la pensée, car toutes ont été inspirées par des sentiments. C’est en vain que certains connaisseurs se feignant ou se croyant au point de vue de la spécialité affectent de railler l’interprétation morale et intellectuelle des combinaisons harmoniques et d’attribuer les puissants effets de ces combinaisons à des rapports purement imaginaires entre les sons et les images. Il y en a de si réels, de si palpables, pour ainsi dire, qu’il