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LE JOURNAL DE PIFFOËL

AVANT-PROPOS


Pendant une période de tracas, de chagrins de cœur, de rupture, de travail, de spleen, George Sand, transformée ici en « docteur Piffoël », regarde l’existence et les gens sous un jour amer ou passionné.

Dans un beau tumulte orageux ou sous l’empire d’une critique implacable contre elle-même, avec ses élans de foi et de générosité habituels, tantôt croyante, tantôt sceptique, elle se livre ou s’observe. On reconnaît dans ses cris superbes, plainte d’un cœur déchiré, les peines foncières qui expliquent sa vie : « Hélas, mon Dieu, j’ai pourtant porté des jougs de fer et tant qu’on me les a imposés au nom de la tendresse et au moyen d’une affectueuse persuasion, j’ai plié aveuglément sous la main amie. Mais, quand on s’est lassé de me persuader et qu’on a voulu me commander, quand on a réclamé ma soumission, non plus au nom de l’amour et de l’amitié, mais en vertu d’un droit ou d’un pouvoir, j’ai retrouvé cette force que personne ne connaît en moi, que moi. Moi qui sais seul combien j’aime, combien je regrette, combien je souffre. »

On retrouve dans ces paroles écrites pour elle la force indomptable de sa race qui fit des Kœnïgsmarck, ses ancêtres, des chefs de guerre et des héros passionnés, qui fît de leur fils un maréchal de Saxe, qui, mourant, gagnait les batailles. La bravoure de la lignée, son âme enthousiaste, sa sensibilité généreuse, son intelligence libre, vinrent s’épanouir en la femme incomparable que fut George Sand.

Au moment où George Sand écrivait les lignes qu’on va lire, elle avait souffert longuement avant d’introduire, contre son mari, une demande de réparation judiciaire (1835).

Au sortir de ce procès (août 1836), elle va retrouver madame d’Agoult et Liszt en Suisse avec ses enfants. Puis, revenue en octobre à Nohant, elle s’installe à Paris, 21, rue Laffitte, à l’hôtel de France, tout près de ses amis. Il semble que la paix doive rentrer dans l’âme de George : elle goûte l’affection de deux êtres supérieurs qui la comprennent