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UNE CONSPIRATION EN 1537

LORENZO

Écoute encore, Catterina. Cet homme t’avait achetée pour une poignée de sequins. C’est moi qui t’ai vendue, et si tu le vois, sur ce lit, c’est qu’il t’y attendait, c’est qu’il a cru que, comme une courtisane, tu viendrais te jeter dans ses bras pour son argent.

CATTERINA, se redressant.

Il a cru cela ?

LORENZO

Ai-je mal fait de le tuer ?

CATTERINA

L’as-tu bien tué ? Ne respire-t-il pas encore ? Écarte cette couverture et donne-moi le flambeau, que je le regarde en face ! Donne, je n’ai plus peur. Tu vois bien que ma main ne tremble pas. Hideux cadavre de réprouvé, sois maudit ! Celle que tu croyais damner avec toi te déteste et te crache au visage.

LORENZO

Ma sœur, c’est bien ! Embrasse celui qui t’a vengée !

CATTERINA, se jette dans ses bras.

Ô mon frère, je l’avais toujours dit, que tu te relèverais ! (À Scoronconcolo.) Toi, coupe cette tête et porte-la au peuple. Dans sa reconnaissance, il proclamera Laurent duc de Médicis.

LORENZO

Non, ma sœur, non ! Je n’ai pas tué cet homme pour mettre sa couronne ducale sur ma tête. Je l’ai tué pour ses forfanteries, pour les affronts que j’en ai reçus, pour venger ton honneur et le mien. Je l’ai tué parce que je le haïssais mortellement et qu’il avait voulu m’avilir, parce que c’était la pensée unique de tous mes jours, le rêve caressé de toutes mes nuits, le besoin qui dévorait mon âme, le but de ma destinée. Je l’ai tué pour assouvir ma soif, pour guérir mes blessures profondes, pour retrouver le sommeil, le bonheur et le calme ! À présent, je ne désire plus rien. J’ai ma propre estime.

CATTERINA

Mais la patrie, Lorenzo ?

LORENZO

La patrie, hélas ! C’est une des chimères que le sceptique Lorenzo ne caresse plus. Vois-tu, ma sœur, j’ai soumis les hommes à une trop rude épreuve pour les estimer jamais, et ils ont trop grossièrement mordu à l’hameçon, ils ont trop abusé de ma patience pour que je puisse croire à la véracité de leur retour. Je serais un mauvais souverain. Je ferais le bien sans plaisir et peut-être le mal sans remords.

CATTERINA

Alors il faut fuir. Chaque instant peut te perdre. La faveur du peuple sera au premier qui voudra l’exploiter. Si tu ne profites pas de ton ouvrage, tu tomberas victime de l’ingratitude. Fuis, mon frère, fuis ; je te le demande à genoux !