Maître, par pitié, viens !
Laisse-moi, te dis-je. Laisse-moi savourer cet ineffable instant de ma vie. Que la nuit est fraîche et parfumée ! Que le ciel est pur ! Les étoiles ont toutes un sourire au front. En voilà une qui file. C’est celle du Duc de Florence qui s’éteint. Ah ! je me sens bien, maintenant, ma poitrine s’élargit, mon âme se dilate[1] ! Souillures, infamie, disparaissez ! Ce sang vous a lavées ! Lorenzaccio n’est plus ! Lève-toi, Laurent de Médicis !
Mon frère, je viens te trouver. Madonna m’a renvoyée de l’Église, disant que j’avais assez prié. Mais je suis en bas avec Léonora et j’ai peur. Nous avons cru entendre des bruits sinistres, des trépignements, des voix étouffées. Il y a dans l’air comme un râle d’agonie. (Elle pousse un cri.) Grand Dieu ! Qu’est-ce là par terre ? Du sang ! et sur toi, sur cet homme, partout du sang !
Ce n’est rien, Monna Cattina, rassure-toi. En jouant avec mon maître, il m’a pris un saignement de nez.
Toujours cet homme avec toi, Lorenzo ! Il m’effraye. Renvoie-le ! Il tutoie tout le monde. Je ne suis pas sa sœur pour qu’il me tutoie.
Ne te fâche pas, Monna Cattina. C’est la coutume encore pour tout franc soldat sicilien, qui a une lame au côté et qui se moque des modes espagnoles.
Frère, parle-moi, j’ai peur ! J’ai peur de ce sang, de cet homme ! J’ai peur de toi aussi !
Viens m’embrasser, enfant, et rassure-toi, car voici le bras qui sait défendre et punir, le bras de Lorenzo le vengeur !
Mon Lorenzino, de qui veux-tu te venger ?
- ↑ Cf. Musset, Lorenzaccio, acte IV, sc. xi :
LORENZO
Que la nuit est belle ! que l’air du ciel est pur ! Respire, respire, cœur navré de joie !…
Que le vent du soir est doux et embaumé ! Comme les fleurs des prairies s’entr’ouvrent ! Ô nature magnifique, ô éternel repos !… Ah ! dieu de bonté, quel moment !
SCORONCONCOLOSon âme se dilate singulièrement…