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LA REVUE DE PARIS

LE DUC

C’est un enfant qui allume des passions d’homme. Tiens, Lorenzo, il faut que tu saches le vrai motif de ma visite : j’espérais la voir.

LORENZO

Par quel art cette petite fille a-t-elle su inspirer tant de curiosité à votre Altesse ?

LE DUC

De la curiosité ? Dis donc de l’amour, mais l’amour le plus violent, la passion la plus effrénée que j’ai ressentis de ma vie. Oh ! depuis plusieurs jours je m’enivre à la contempler, tantôt là, penchée vers cette fenêtre et livrant à la brise ses longs cheveux noirs, tantôt à l’Église, les yeux baissés sous son voile entr’ouvert, plus belle, plus naïve que les Vierges que notre vieux Michel-Ange rêvait aux beaux jours de sa jeunesse. Et puis, quand elle se lève et que, d’un pas léger, elle effleure les dalles du temple, la pétulante gaieté de son âge encore contenue par le recueillement de la prière, on dirait une hirondelle vive et flexible qui va s’élancer du portique dans les airs ! Oh ! va la chercher, Lorenzino, que je touche sa taille élastique, que je fasse de mes deux mains une ceinture étroite à sa taille déliée, que je respire le parfum de ses cheveux brillants ! Va la chercher ! Je n’aime plus aucune des femmes que tu m’as livrées, et je te tiens quitte, à l’avenir, de m’en trouver de nouvelles, si dès aujourd’hui tu peux me procurer un rendez-vous avec cet ange.

LORENZINO

Dès aujourd’hui ? C’est difficile. La petite est farouche et vous aurez toute une éducation à faire. En outre sa mère est d’une vigilance austère et nous aurons de la peine à décider l’une et à éloigner l’autre. Donnez-moi quelques jours.

LE DUC

Ne me parle pas de retards. J’ai déjà trop souffert et trop attendu. Songe qu’il ne s’agit plus d’une de ces fantaisies d’un jour qui réveillaient à peine mon sang engourdi. Songe que si tu te mêles d’avoir des scrupules — la chose du monde qui te siérait le moins — ta sœur ne tombera pas moins à mon pouvoir. L’amour ne connaît pas d’obstacles et le mien surtout. Songe enfin, que si tu abrèges ma cruelle angoisse, tu obtiendras tout ce que tu demanderas, fût-ce la première charge de l’État, ou la fortune de Cosme au mépris des lois, ou la tête de ton ennemi. Essaye.

LORENZO

Je n’ai pas besoin de toutes ces promesses. Vous savez bien que, si la chose est humainement possible, Lorenzo vous servira.

LE DUC

Cours donc, ami. Dis-lui que le duc de Florence se meurt d’amour pour elle. Dis-lui qu’il couvrira de perles et de pierreries sa noire chevelure et son sein naissant et ses bras moelleux. Dis-lui qu’il lui donnera