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LA REVUE DE PARIS

familles patriciennes, qui ne trouveront jamais leur compte à la république, et surtout à la vôtre, car vous voyez ici le Seigneur Altoviti, qui ne me met en avant que pour écarter les prétentions de son autre neveu, Cosme de Médicis. Ce rival éloigné, l’exclusion de l’insensé Lorenzaccio serait bientôt votée, et je ne vois personne qui s’accommoderait mieux du sceptre ducal que le Seigneur Altoviti lui-même. — Et à vous deux, tertio, je donnerai un conseil de prudence et de raison : c’est de ne point trop compter sur le peuple, et de vous rappeler la conjuration des Pazzi, qui, pour prix de la mort des Tyrans, furent portés pièce à pièce au bout des piques, tandis que ce grand peuple, dont ils avaient voulu consommer la délivrance, couvrait de boue leurs lambeaux palpitants. Croyez-moi, mettez un frein à cette inquiète ambition qui vous tourmente et ne la couvrez point tant du manteau de la philanthropie. Car, à voir les hommes comme ils sont, personne ne peut vous croire. Telles sont les humbles représentations de votre serviteur qui vous baise les mains.

BINDO

Arrête ; nous sommes venus t’offrir un parti avantageux, et tu réponds par l’outrage. Tu nous feras amende honorable ou tu nous rendras raison.

LORENZO

Point, mon oncle, je ne suis pas né spadassin. Prenez-vous en à Dieu, qui ne m’a pas fait brave. Je conçois qu’il vous serait avantageux, maintenant que votre secret est dans mes mains et que vous avez peur, de vous débarrasser de moi. Mais calmez-vous, et profitez du conseil qu’un fou peut donner.

CAPPONI

Vous m’avez insulté personnellement. Mais j’ai pitié de votre pusillanimité. Seulement, souvenez-vous bien que si vous trahissez…

LORENZO

Point de menace. Vous froissez mon pourpoint et ne m’effrayez guère. Faites pour le peuple ce qu’il vous plaira. Je ne ferai rien. Je hais les hommes, et plus ils sont grossiers, plus je les méprise. Je n’ai pas d’intérêt à les caresser, parce que je ne veux rien d’eux. En refusant la popularité, je suis plus franc et plus brave que vous. Allez, pour faire une conspiration, il ne faut que deux choses : un homme et un poignard. Laissez mon pourpoint, vous dis-je. C’est de l’étoffe de vos magasins, peut-être, et vous voulez me forcer d’en acheter un neuf. Il me paraît que vous vous entendez mieux aux affaires de votre boutique qu’à celles de l’État. Vous êtes bien imprudent d’impatienter de la sorte un homme que vous craignez.

BINDO

C’en est trop, lâche, fanfaron, chien de Cour !

UN PAGE, annonçant :

Le Duc.