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LA REVUE DE PARIS

décourager d’aucune de tes injustes préventions. Il faut que tu nous donnes aujourd’hui une réponse décisive. Tu sais de quoi il est question. Les crimes d’Alexandre ont lassé la patience du peuple. Le complot est près d’éclater. Il ne lui manque qu’un chef, qui convienne à la fois au peuple et aux grands. Voici le représentant de ce brave peuple, qui vient te proposer de sauver la patrie avec nous.

LORENZO, à Capponi.

Et c’est pour cela que Sa populaire Seigneurie a daigné visiter la maison abandonnée du solitaire Lorenzo ?

CAPPONI

De grâce, Messere, laissez aux gens de cour cette feinte humilité et ce faux respect. Je ne suis point un marquis napolitain, mais seulement un bourgeois de Florence. Nous autres, voyez-vous, nous en usons sans tant de façons. Nous laissons aux Espagnols ces grands airs et ces grands titres, qu’ils nous ont apportés avec leur joug odieux. C’est à eux qu’il convient de dégainer la rapière à chaque coin de rue, pour un salut trop léger, ou pour un vous au lieu d’un Monseigneur. La simplicité convient à nos mœurs républicaines, et c’est une suite de la dépravation des Cours que tout cet étalage de sentiments trompeurs et d’embrassades perfides !

LORENZO

Admirable ! Sublime ! Vous avez eu là, Monsieur le représentant du peuple, un très beau mouvement oratoire. Vous êtes républicain dans l’âme, par saint Laurent ! j’aurais dû le deviner à la couleur de votre pourpoint et au peu d’ampleur de votre manteau[1].

CAPPONI, à Bindo.

Je crois qu’il raille.

BINDO

C’est sa manière accoutumée. N’y faites pas attention et lui exposez votre mission.

CAPPONI

Messere Lorenzo de Médicis, nous aurons tous confiance en votre parole, si vous voulez enfin nous la donner. Il est vrai que votre assiduité auprès du tyran nous avait fait concevoir quelques doutes sur votre dévouement à la cause publique. Mais Messire Altoviti, votre oncle, nous a rassurés, en nous disant que vous n’observez le Duc de si près que pour vous rendre maître de tous ses projets et les déjouer.

  1. Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. iv :
    LORENZO

    Qu’en dites-vous, seigneur Venturi ? Parlez, parlez ! Voilà mon oncle qui reprend haleine… Pas un mot ? Pas un beau petit mot bien sonore ? Vous ne connaissez pas la véritable éloquence. On tourne une grande période…

    … Ne voyez-vous pas à ma coiffure que je suis républicain dans l’âme ? Regardez comme ma barbe est coupée. N’en doutez pas un seul instant ; l’amour de la patrie respire dans mes vêtements les plus cachés.