Page:Revue de Paris - 1921 - tome 6.djvu/690

Cette page a été validée par deux contributeurs.
684
LA REVUE DE PARIS

MADONNA MARIA

Chère enfant ! Ce n’est pas le sort de Virginia que je plains, mais bien celui de sa mère.

CATTERINA s’assied aux pieds de sa mère d’un air caressant.

J’admire le courage de Virginius. Mais, dis-moi, mère, crois-tu que s’il n’y avait pas eu d’autres bras que celui de cette Romaine pour frapper sa fille, elle eût pu s’y résoudre ?

MARIA quitte son ouvrage et prend les mains de sa fille dans les siennes.

Ma Cattina, si nous nous trouvions dans de si déplorables circonstances, je sens bien que la force me manquerait pour verser ton sang. Mais j’aurais peut-être celle de mettre le poignard dans ta main et de te dire « Choisis, ma fille, entre la mort et l’infamie ». Oh ! j’en suis sûre, Catterina, ton choix déchirerait mes entrailles ; mais il ne me ferait pas rougir de t’avoir donné la vie.

CATTERINA

Ma bonne mère ! Tu dis vrai, car je suis la fille des Soderini et notre famille est sans tache. Mais tu as aussi les yeux humides, Madonna. Lorenzino, viens donc embrasser notre mère. Vois, comme elle est triste ! (Elle le tire par le bras.)

LORENZO

Ah ! tu m’éveilles, méchante.

CATTERINA

Toujours ces rêveries, ces extases ! Cherches-tu la pierre philosophale, comme le vieux moine qui m’enseigne le latin ? Pourquoi donc êtes-vous tous si tristes ? Jusqu’à toi, mon Lorenzino, qui me faisais tant jouer et si bien rire, quand j’étais une toute petite fille, et qui maintenant m’adresses à peine un mot ? Cruels que vous êtes ! Vous n’êtes pas heureux ? Vous ne voulez donc pas que je le sois ? Viens auprès de nous, frère. Assieds-toi là, tout à côté de Madonna. Tu vois bien qu’elle s’ennuie, parce que tu ne lui parles pas. — Voulez-vous que je vous lise une histoire des temps anciens ? la mort de Lucretia ? ou recommencerai-je pour vous celle de Virginia ?

LORENZO

Plutôt Virginia, car Lucretia, j’en doute toujours et, comme dit le poète, elle a voulu avoir tout ensemble, le plaisir du péché et la gloire du trépas. On peut répondre davantage de Virginia, quoique son père ne l’ait pas consultée, peut-être, avant de la tuer.

MADONNA MARIA

Vous méprisez les femmes, Lorenzo, nous le savons. Pourquoi affecter de les rabaisser devant votre mère et votre sœur ?