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UNE CONSPIRATION EN 1537

eut la plaisante idée de les décapiter ? Par saint Cosme ! J’ai ri de la sainte colère du pape, en songeant que, si tous ces grands hommes revenaient à la vie, il ne manquerait pas de les excommunier[1]. Le cardinal Hippolyte de Médicis avait bien fait comprendre à Sa Sainteté, qui est Elle-même un Médicis, que l’ignominie du supplice de Lorenzo retomberait sur les siens, et l’évasion du condamné avait été favorisée par celui-là même qui le réclame aujourd’hui. D’où vient cette inconstance dans la faveur du pape ? Il fut un temps où les caustiques saillies de Lorenzino étaient applaudies au Vatican, comme les sottises d’un enfant gâté. Quand on vit qu’il abusait de cette faiblesse, on le condamna à être pendu, et maintenant qu’on lui a pardonné, on se rétracte ? C’est de l’inconséquence.

VALORI

On pensait que les mesures sévères prises contre lui le tiendraient en respect, en quelque lieu de l’Italie qu’il se fût réfugié. Mais à peine a-t-il pris racine dans votre Cour qu’il recommence ses licencieuses moqueries contre les choses saintes et les personnes consacrées à Dieu. Le pape a sujet d’être blessé de l’affection que Votre Altesse a conçue pour le contempteur de la religion.

LE DUC

Le pape est d’autant plus zélé, en cette occurrence, à venger la religion outragée, que son amour-propre blessé y trouve un peu son compte. Mais parlons sérieusement. Excellence, la haine du Saint-Père a lieu d’être assouvie, car il n’est pas de condition plus abjecte que celle de Lorenzo à la Cour de Florence. Cette feinte amitié, que je lui montre, ne trompe peut-être ici que vous et lui. Oh ! des affronts comme ceux que j’ai reçus de lui, autrefois, ne se pardonnent jamais, sachez-le bien ! Mais la véritable vengeance, ce n’est pas le délire d’un instant, c’est la jouissance de toute une vie. Tuer son ennemi, c’est s’en défaire et non s’en venger ; c’est une justice de maître, une mesure de sûreté. Mais le faire souffrir longtemps, le fouler aux pieds, l’avilir, c’est une conquête de vainqueur, c’est un plaisir de prince !

VALORI

Mais Lorenzo lève devant toute la Cour un front toujours altier. Son langage est toujours acerbe et insolent. S’il est insensible au mépris qu’il inspire, où est son châtiment ?

LE DUC

Cette philosophie stoïque est affectée. Au fond de son cœur, il souffre, je le sais bien. Peut-il être sourd aux clameurs de la haine publique, à l’indignation de sa famille, qui avait mis en lui de si

  1. Cf. Musset, Lorenzaccio, acte I, sc. iv
    LE DUC

    … Je n’entends rien au respect du pape pour ces statues, qu’il excommunierait demain, si elles étaient en chair et en os…