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comme si un spectre se fût dressé devant ses yeux. Son singe, c’était le vivant souvenir de tous ses malheurs, une des causes de sa folie, des humiliations et des outrages qu’il venait d’endurer. Il saisit un escabeau de chêne qui se trouvait à portée de sa main et, d’un seul coup, fendit le crâne du misérable quadrumane qui s’affaissa comme une masse aux pieds de son meurtrier. Puis, soulagé par cette exécution, il se laissa tomber dans un fauteuil et déboutonna sa redingote.

Honorine parut alors et faillit s’évanouir de joie en apercevant Héraclius. Dans son allégresse, elle sauta au cou de son seigneur et l’embrassa sur les deux joues, oubliant ainsi la distance qui sépare, aux yeux du monde, le maître de la domestique ; ce en quoi, disait-on, le docteur lui en avait jadis donné l’exemple.

Cependant la horde des polissons ne s’était point dissipée et continuait, devant la porte, un si terrible charivari qu’Héraclius impatienté descendit à son jardin.

Un spectacle horrible le frappa.

Honorine, qui aimait véritablement son maître tout en déplorant sa folie, avait voulu lui ménager une agréable surprise lorsqu’il rentrerait chez lui. Elle avait veillé comme une mère sur l’existence de toutes les bêtes précédemment rassemblées en ce lieu, de sorte que, grâce à la fécondité commune à toutes les races d’animaux, le jardin présentait alors un spectacle semblable à celui que devait offrir, lorsque les eaux du Déluge se retirèrent, l’intérieur de l’Arche où Noé rassembla toutes les espèces vivantes. C’était un amas confus, un pullulement de bêtes, sous lesquelles, arbres, massifs, herbe et terre disparaissaient. Les branches pliaient sous le poids de régiments d’oiseaux, tandis qu’au-dessous chiens, chats, chèvres, moutons, poules, canards et dindons se roulaient dans la poussière. L’air était rempli de clameurs diverses, absolument semblables à celles que poussait la marmaille ameutée de l’autre côté de la maison.

À cet aspect, Héraclius ne se contint plus. Il se précipita sur une bêche oubliée contre le mur et, semblable aux guerriers fameux dont Homère raconte les exploits, bondissant, tantôt en avant, tantôt en arrière, frappant de droite et de gauche, la rage au cœur, l’écume aux dents, il fit un effroyable