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s’arrêtant soudain, lui prit la main et, la serrant fortement, lui demanda à voix basse :

— Croyez-vous à la métempsychose ?

— Le docteur chancela, balbutia ; leurs regards se rencontrèrent et pendant quelques secondes tous deux restèrent debout à se contempler. Enfin l’émotion vainquit Héraclius, des larmes jaillirent de ses yeux, il ouvrit les bras et ils s’embrassèrent. Alors les confidences commencèrent et ils reconnurent bientôt qu’ils étaient illuminés de la même lumière, imprégnés de la même doctrine. Il n’y avait aucun point où leurs idées ne se rencontrassent. Mais à mesure que le Docteur constatait cette étonnante similitude de pensées, il se sentait envahi par un malaise singulier ; il lui semblait que plus l’inconnu grandissait à ses yeux, plus il diminuait lui-même dans sa propre estime. La jalousie le mordait au cœur.

L’autre s’écria tout à coup :

— La métempsychose c’est moi ; c’est moi qui ai découvert la loi des évolutions des âmes, c’est moi qui ai sondé les destinées des hommes. C’est moi qui fus Pythagore.

Le Docteur s’arrêta soudain, plus pâle qu’un linceul.

— Pardon, — dit-il, — Pythagore, c’est moi.

Et ils se regardèrent de nouveau. L’homme continua :

— J’ai été successivement philosophe, architecte, soldat, laboureur, moine, géomètre, médecin, poète et marin.

— Moi aussi, — dit Héraclius.

— J’ai écrit l’histoire de ma vie en latin, en grec, en allemand, en italien, en espagnol et en français — criait l’inconnu.

Héraclius reprit :

— Moi aussi.

Tous deux s’arrêtèrent et leurs regards se croisèrent, aigus comme des pointes d’épées.

— En l’an 184, vociféra l’autre, j’habitais Rome et j’étais philosophe.

Alors le docteur, plus tremblant qu’une feuille dans un vent d’orage, tira de sa poche son précieux document et le brandit comme une arme sous le nez de son adversaire. Ce dernier fit un bond en arrière.

— Mon manuscrit, — hurla-t-il, et il étendit le bras pour le saisir.