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toujours criant, puis déposé dans cette baignoire, et avant qu’il eût eu le temps de se reconnaître, il fut absolument suffoqué par la plus horrible avalanche d’eau glacée qui soit jamais tombée sur les épaules d’un mortel, même dans les régions les plus boréales. Héraclius se tut subitement. Le monsieur noir le considérait toujours ; il lui prit le pouls gravement puis il dit

— Encore une.

Une seconde douche s’écroula du plafond et le Docteur s’abattit grelottant, étranglé, suffoquant au fond de sa baignoire glacée. Il fut ensuite enlevé, roulé dans des couvertures bien chaudes et couché dans le lit de sa cellule où il dormit trente-cinq heures d’un profond sommeil.

Il s’éveilla le lendemain, le pouls calme et la tête légère. Il réfléchit quelques instants sur sa situation, puis il se mit à lire son manuscrit qu’il avait eu soin d’emporter avec lui. Le monsieur noir entra bientôt. On apporta une table servie et ils déjeunèrent en tête-à-tête. Le Docteur, qui n’avait pas oublié son bain de la veille, se montra fort tranquille et fort poli ; sans dire un mot du sujet qui avait pu lui valoir une pareille mésaventure, il parla longtemps de la façon la plus intéressante et s’efforça de prouver à son hôte qu’il était plus sage d’esprit que les sept sages de la Grèce.

Le monsieur noir offrit à Héraclius en le quittant d’aller faire un tour dans le jardin de l’établissement. C’était une grande cour carrée plantée d’arbres. Une cinquantaine d’individus s’y promenaient ; les uns riant, criant et pérorant, les autres graves et mélancoliques.

Le Docteur remarqua d’abord un homme de haute taille portant une longue barbe et de longs cheveux blancs, qui marchait seul, le front penché. Sans savoir pourquoi le sort de cet homme l’intéressa, et au même moment l’inconnu, levant la tête, regarda fixement Héraclius. Puis ils allèrent l’un vers l’autre et se saluèrent cérémonieusement. Alors la conversation s’engagea. Le Docteur apprit que son compagnon s’appelait Dagobert Félorme et qu’il était professeur de langues vivantes au collège de Balançon. Il ne remarqua rien de détraqué dans le cerveau de cet homme et il se demandait ce qui avait pu l’amener dans un pareil lieu, quand l’autre,