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m’étais aperçue que les souris mangeaient mes provisions, j’ai mis une ratière dans le buffet. Ce matin, voyant qu’il y avait une souris de prise, j’appelle le chat et j’allais lui donner cette vermine quand mon maître entra comme un furieux, il m’arracha la ratière des mains et lâcha la bête au milieu de mes conserves, et puis, comme je me fâchais, le voilà qui se retourne et qui me traite comme on ne traiterait pas une chiffonnière.

Un grand silence se fit pendant quelques secondes, puis mademoiselle Honorine reprit :

— Après tout, je ne lui en veux pas à ce pauvre homme, il est fou.

Deux heures plus tard, l’histoire de la souris du Docteur avait fait le tour des cuisines de Balançon. À midi, elle était l’anecdote du déjeuner des bourgeois de la ville. À huit heures, M. le Premier, tout en buvant son café, la racontait à six magistrats qui avaient dîné chez lui, et ces messieurs, dans des poses diverses et graves, l’écoutaient rêveusement, sans sourire et hochant la tête. À onze heures, le préfet qui donnait une soirée s’en inquiétait devant six mannequins administratifs ; et comme il demandait l’avis du Recteur qui promenait de groupe en groupe ses méchancetés et sa cravate blanche, celui-ci répondit :

— Qu’est-ce que cela prouve après tout, monsieur le préfet, que si La Fontaine vivait encore, il pourrait faire une nouvelle fable intitulée « La souris du Philosophe », et qui finirait ainsi :

Le plus bête des deux n’est pas celui qu’on pense.


XXVII

comme quoi le docteur héraclius ne pensait nullement
comme le dauphin qui, ayant tiré de l’eau un singe,
s’y replonge et va chercher quelqu’homme afin de le sauver


Lorsque Héraclius sortit le lendemain, il remarqua que chacun le regardait passer avec curiosité et qu’on se retournait encore pour le voir. L’attention dont il était l’objet