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cesse par le souvenir des brochettes de cailles qui le harcelait comme un remords. Hélas ! ce n’était point le remords d’en avoir tant dévoré, mais plutôt le désespoir d’y avoir renoncé pour toujours.


XXII

où le docteur découvre que son singe lui ressemble
encore plus qu’il ne pensait


Un matin, le docteur Héraclius fut réveillé par un bruit inusité ; il sauta du lit, s’habilla en toute hâte et se dirigea vers la cuisine où il entendait des cris et des trépignements extraordinaires.

Roulant depuis longtemps dans son esprit les plus noirs projets de vengeance contre l’intrus qui lui ravissait l’affection de son maître, la perfide Honorine, qui connaissait les goûts et les appétits de ces animaux, avait réussi, au moyen d’une ruse quelconque, à ficeler solidement le pauvre singe aux pieds de sa table de cuisine. Puis, lorsqu’elle se fut assurée qu’il était bien fortement attaché, elle s’était retirée à l’autre bout de l’appartement et s’amusait à lui montrer le régal le plus propre à exciter ses convoitises, elle lui faisait subir un épouvantable supplice de Tantale qu’on ne doit infliger dans les enfers qu’à ceux qui ont énormément péché ; et la perverse gouvernante riait la gorge déployée et imaginait des raffinements de torture qu’une femme seule est capable de concevoir. L’homme-singe se tordait avec fureur à l’aspect des mets savoureux qu’on lui présentait de loin, et la rage de se sentir lié aux pieds de la table massive lui faisait exécuter de monstrueuses grimaces qui redoublaient la joie du bourreau tentateur.

Enfin juste au moment où le Docteur, maître jaloux, apparut sur le seuil, la victime de cet horrible guet-apens réussit, par un effort prodigieux, à rompre les cordes qui le retenaient et, sans l’intervention violente d’Héraclius indigné, Dieu sait de quelles friandises se serait repu ce nouveau Tantale à quatre mains.