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par l’agréable pensée que, généralement, ce qui est perdu pour un n’est pas perdu pour tous.

« Des cailles ! des cailles. — que pouvaient bien avoir été les cailles dans une autre vie ? » se demandait le misérable Héraclius en mangeant tristement un superbe chou-fleur à la crème qui lui parut ce jour-là désastreusement mauvais. Quel être humain avait pu être assez élégant, délicat et fin pour passer dans le corps de ces exquises petites bêtes si coquettes et si jolies ? Ah, certainement ce ne pouvaient être que les adorables petites maîtresses des siècles derniers… et le Docteur pâlit encore en songeant que depuis plus de trente ans il avait dévoré chaque jour à son déjeuner une demi-douzaine de belles dames du temps passé.


XV

comment m. le recteur
interprète les commandements de dieu


Le soir de ce malheureux jour, M. le Doyen et M. le Recteur vinrent causer pendant une heure ou deux dans le cabinet d’Héraclius. Le Docteur leur raconta aussitôt l’embarras dans lequel il se trouvait et leur démontra comment les cailles et autres animaux comestibles étaient devenus tout aussi prohibés pour lui que le jambon pour un juif.

M. le Doyen qui, sans doute, avait mal dîné perdit alors toute mesure et blasphéma de si terrible façon que le pauvre Docteur qui le respectait beaucoup, tout en déplorant son aveuglement, ne savait plus où se cacher. Quant à M. le Recteur, il approuva tout à fait les scrupules d’Héraclius, lui représentant même qu’un disciple de Pythagore se nourrissant de la chair des animaux pouvait s’exposer à manger la côte de son père aux champignons ou les pieds truffés de son aïeul, ce qui est absolument contraire à l’esprit de toute religion, et il lui cita à l’appui de son dire le quatrième commandement du Dieu des chrétiens :

Tes père et mère honoreras
Afin de vivre longuement.