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XIV

comment héraclius fut sur le point de manger une
brochette de belles dames du temps passé


Comme l’heure du déjeuner était arrivée, le Docteur entra dans sa salle à manger, s’assit devant sa table, introduisit sa serviette dans sa redingote, ouvrit à son côté le précieux manuscrit et il allait porter à sa bouche un petit aileron de caille bien gras et bien parfumé, lorsque, jetant les yeux sur le livre saint, les quelques lignes sur lesquelles tomba son regard étincelèrent plus terriblement devant lui que les trois mots fameux écrits tout à coup par une main inconnue sur la muraille de la salle de festin d’un roi célèbre appelé Balthazar !

Voici ce que le docteur avait aperçu…

« … Abstiens-toi donc de toute nourriture ayant eu vie, car manger de la bête, c’est manger son semblable, et j’estime aussi coupable celui qui, pénétré de la grande vérité métempsychosiste, tue et dévore des animaux, qui ne sont autre chose que des hommes sous leurs formes inférieures, que l’anthropophage féroce qui se repaît de son ennemi vaincu. »

Et sur la table, côte à côte, retenues par une petite aiguille d’argent, une demi-douzaine de cailles, fraîches et dodues, exhalaient dans l’air leur appétissante odeur.

Le combat fut terrible entre l’esprit et le ventre, mais, disons-le à la gloire d’Héraclius, il fut court. Le pauvre homme, anéanti, craignant de ne pouvoir résister longtemps à cette épouvantable tentation, sonna sa bonne et d’une voix brisée, lui enjoignit d’avoir à enlever immédiatement ce mets abominable, et de ne lui servir désormais que des œufs, du lait et des légumes. Honorine faillit tomber à la renverse en entendant ces surprenantes paroles, elle voulut protester, mais devant l’air inflexible de son maître elle se sauva avec les volatiles condamnés, se consolant néanmoins