Page:Revue de Paris - 1921 - tome 6.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.

puis il l’acheta sans marchander, moyennant la somme de douze livres onze sous, le bouquiniste le faisant passer pour un manuscrit hébreu retrouvé dans les fouilles de Pompéi.

Pendant quatre jours et quatre nuits, le docteur ne quitta pas son cabinet, et il parvint, à force de patience et de dictionnaires, à déchiffrer, tant bien que mal, les périodes allemande et espagnole du manuscrit, car s’il savait le grec, le latin et un peu l’italien, il ignorait presque totalement l’allemand et l’espagnol. Enfin, craignant d’être tombé dans les contresens les plus grossiers, il pria son ami le Recteur, qui possédait à fond ces deux langues, de vouloir bien relire sa traduction. Ce dernier le fit avec grand plaisir ; mais il resta trois jours entiers avant de pouvoir entreprendre sérieusement son travail, étant envahi, chaque fois qu’il parcourait la version du Docteur, par un rire si long et si violent, que deux fois il en eut presque des syncopes. Comme on lui demandait la cause de cette hilarité extraordinaire :

— La cause ? répondit-il, — d’abord il y en a trois :

1o la figure désopilée de mon excellent confrère Héraclius ;

2o sa traduction désopilante qui ressemble au texte approximativement comme une guitare à un moulin à vent ; et,

3o enfin, le texte lui-même qui est bien la chose la plus drôle qu’il soit possible d’imaginer.

Ô recteur obstiné ! rien ne put le convaincre. Le soleil serait venu, en personne, lui brûler la barbe et les cheveux qu’il l’aurait pris pour une chandelle.

Quant au docteur Héraclius Gloss, je n’ai pas besoin de dire qu’il était rayonnant, illuminé, transformé ; il répétait à tout moment comme Pauline :

— Je vois, je sens, je crois, je suis désabusé

Et, chaque fois, le Recteur l’interrompait pour faire remarquer que désabusé devait s’écrire en deux mots avec un s à la fin :

— Je vois, je sens, je crois, je suis des abusés.