Page:Revue de Paris - 1921 - tome 6.djvu/235

Cette page a été validée par deux contributeurs.

universitaire, il disparaissait dans la ruelle des Vieux Pigeons dont il ne sortait que pour rentrer dîner.

Que faisait donc le docteur Héraclius Gloss dans la Ruelle des Vieux Pigeons ? Ce qu’il y faisait, bon Dieu ! il y cherchait la vérité philosophique, et voici comment.

Dans cette petite ruelle, obscure et sale, tous les bouquinistes de Balançon s’étaient donné rendez-vous. Il eût fallu des années pour lire seulement les titres de tous les ouvrages inattendus, entassés de la cave au grenier dans les cinquante baraques qui formaient la Ruelle des Vieux Pigeons.

Le docteur Héraclius Gloss regardait ruelle, maisons, bouquinistes et bouquins comme sa propriété particulière.

Il était arrivé souvent que certain marchand de bric-à-brac, au moment de se mettre au lit, avait entendu quelque bruit dans son grenier, et montant à pas de loup, armé d’une gigantesque flamberge des temps passés, il avait trouvé… le docteur Héraclius Gloss, enseveli jusqu’à mi-corps dans des piles de bouquins, tenant d’une main un reste de chandelle qui lui fondait entre les doigts, et de l’autre feuilletant un antique manuscrit d’où il espérait peut-être faire jaillir la vérité. Et le pauvre docteur était bien surpris, en apprenant que la cloche du beffroi avait sonné neuf heures depuis longtemps et qu’il mangerait un détestable dîner.

C’est qu’il cherchait sérieusement, le docteur Héraclius. Il connaissait à fond toutes les philosophies anciennes et modernes ; il avait étudié les sectes de l’Inde et les religions des nègres d’Afrique ; il n’était si mince peuplade parmi les barbares du Nord ou les sauvages du sud dont il n’eût sondé les croyances. Hélas ! hélas ! plus il étudiait, cherchait, furetait, méditait, plus il était indécis ;

— Mon ami, — disait-il un soir à M. le Recteur, combien sont plus heureux que nous les Colomb qui se lancent à travers les mers à la recherche d’un nouveau monde ! ils n’ont qu’à aller devant eux. Les difficultés qui les arrêtent ne viennent que d’obstacles matériels qu’un homme hardi franchit toujours. Tandis que nous, ballottés sans cesse sur l’océan des incertitudes, entraînés brusquement par une hypothèse comme un navire par l’aquilon, nous rencontrons tout à coup, ainsi qu’un vent contraire, une doctrine opposée,