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l’élève

n’éclaircissait pas beaucoup. Cet épisode de son second séjour à Paris se traînait languissamment. Ils avaient repris leurs lectures, leurs promenades, leurs flâneries sur les quais, leurs visites aux musées et parfois au Palais-Royal à l’apparition des premiers froids, alors que les chaudes émanations du sous-sol devenaient agréables, devant la succulente et merveilleuse vitrine de Chevet. Morgan voulait tout savoir de ce qui concernait l’opulent jeune homme — il s’intéressait extrêmement à lui. Et quelques-uns des détails de son opulence — Pemberton ne savait lui faire grâce d’aucun — donnaient évidemment à l’enfant une conscience plus nette de l’étendue du sacrifice auquel son précepteur avait consenti pour lui revenir. Mais ce trait d’héroïsme avait développé en lui un vif désir de réciprocité, et en outre il éprouvait toujours sa conviction, non dépourvue de frivole allégresse, que leur longue épreuve touchait à sa fin. Sa certitude que les Moreen ne pourraient pas tenir beaucoup plus longtemps allait de front avec l’élan inattendu qui, mois après mois, leur permettait de conserver leur allure. Trois semaines après le retour de Pemberton, ils allèrent dans un autre hôtel inférieur au premier ; mais Morgan se réjouit de ce que son précepteur n’eût pas perdu l’avantage d’avoir une chambre au dehors. Il persistait, avec un entêtement romanesque, à croire à l’utilité de cet arrangement quand viendrait le jour ou la nuit où ils s’enfuiraient.

Pour la première fois notre ami sentit au milieu de toutes ces complications sa chaîne lui peser. C’était trop fort — comme il l’avait dit à Mrs Moreen à Venise — tout dans sa situation était trop fort. Il ne pouvait ni se débarrasser de son épuisant fardeau ni recueillir à le porter le bénéfice d’une conscience apaisée ou d’une affection récompensée. Il avait dépensé tout l’argent gagné en Angleterre ; il voyait s’en aller sa jeunesse sans recevoir aucune compensation. C’était très joli à Morgan de considérer comme une réparation de ce qu’il souffrait le fait de ne plus le quitter jamais. Mais il y avait dans cette façon de voir un vice irritant. Pemberton se rendait bien compte de ce qu’était au fond la pensée de l’enfant ; du moment que son ami avait eu la générosité de revenir, il devait lui témoigner sa gratitude en lui consacrant son existence. Mais ce pauvre ami n’avait pas envie d’un tel présent — que