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l’élève

minces chaises dorées), tant son petit compagnon, déjà marqué par la maladie, évidemment marqué pour ne pas dire plus, lui paraissait peu qualifié pour faire fi d’un avantage offert.

Dans tous les cas, il était pris, lui. Il allait de nouveau avoir Morgan sur les bras pour un temps indéfini, encore qu’il vît que son élève avait une idée à lui pour diminuer son embarras. Il lui en était bien obligé d’avance, mais cette perspective ne l’empêchait pas de se sentir bien bas, pas plus d’ailleurs qu’elle ne l’empêchait d’accepter son sort sur-le-champ. Il avait néanmoins la certitude qu’il le ferait beaucoup mieux s’il pouvait souper un peu. Mrs Moreen fit d’autres allusions aux changements à envisager mais sa conversation offrait un tel mélange de sourires et de frissons — elle avouait se sentir très énervée — qu’il n’aurait pu dire si elle traversait un moment de triomphe ou une crise de nerfs. Si la famille était vraiment en train de faire naufrage, pourquoi ne pas reconnaître la nécessité de mettre Morgan dans quelque bateau de sauvetage ? Ce pressentiment d’une déconfiture prochaine était fortifié par le fait que les Moreen s’étaient installés luxueusement dans la capitale du plaisir. C’était tout à fait l’endroit où il était naturel de les voir installés pour la culbute finale. D’ailleurs n’avait-elle pas dit que M. Moreen et les autres étaient à l’Opéra avec M. Granger et n’était-ce pas aussi là qu’on devait les chercher à la veille d’une catastrophe ? Pemberton comprit que M. Granger était un riche Américain à capturer, une sorte de grand programme avec un en-tête magnifique et rien encore dedans ; de sorte qu’une des « idées » de Paula était probablement que cette fois-ci elle n’allait pas rater son coup. Et ce coup infaillible allait détruire la cohésion de l’édifice familial. Dans ce cas qu’allait devenir le pauvre Pemberton ? Il se sentait assez lié à leur destin pour se concevoir lui-même non sans alarme comme un bloc désagrégé de cet édifice.

Ce fut Morgan qui finit par demander si on n’avait pas préparé à souper pour lui. Et il s’assit avec son précepteur un moment après, en bas, dans la demi-obscurité, devant un grand étalage de peluche verte et de cordelières, une assiette de biscuits décorative et un garçon dont la réserve