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l’élève

ton perdait de son allure d’homme du monde. Il se demandait aussi si ses compagnons lui demandaient une rémunération pour les services qu’ils lui rendaient. Quoi qu’il en fût, l’automne se termina, les Dorrington partirent et Lord Verschoyle, l’aîné des fils, n’avait demandé ni la main d’Amy ni celle de Paula.

Par une triste journée de novembre, comme le vent rugissait autour du vieux palais et que la pluie cinglait la lagune, Pemberton et Morgan faisaient les cent pas dans la grande « sala » nue pour prendre de l’exercice et un peu aussi pour se réchauffer (les Moreen étaient terriblement chiches de feu et c’était pour leur hôte une cause de souffrance). Le scaliola des dalles était froid ; les hautes fenêtres en mauvais état tremblaient sous l’effort de la tempête et il n’y avait pas le moindre soupçon de mobilier pour compenser le majestueux délabrement de la pièce. Pemberton se sentait déprimé et il lui paraissait que la fortune des Moreen était plus déprimée encore. Un souffle de désolation, avant-coureur de honte et de désastre, semblait traverser le triste vestibule. M. Moreen et Ulick se trouvaient sur la Piazza, errant tristement en mackintosh sous les arcades, en quête de quelque chose mais gardant toujours, malgré leur mackintosh, cet air d’homme du monde auquel il est impossible de se méprendre. Paula et Amy étaient couchées ; on pouvait supposer qu’elles restaient au lit pour avoir chaud. Pemberton tourna un regard interrogateur vers le petit garçon pour voir jusqu’à quel point il se rendait compte du caractère sinistre de ces présages. Mais Morgan, heureusement pour lui, était surtout préoccupé de se sentir grandir, se fortifier et être dans sa quinzième année. Ce dernier événement l’intéressait passionnément et formait la base d’une théorie à lui — dont il avait néanmoins fait part à son professeur — et d’après laquelle il serait capable dans peu de temps de se débrouiller tout seul. Il était d’avis que la situation allait changer, qu’en un mot, une fois son éducation finie, et qu’il serait un homme, il deviendrait une valeur productive dans le monde des affaires et serait tout disposé à montrer ses remarquables capacités. Toute pénétrante que fût parfois son « analyse » de sa vie ainsi qu’il l’appelait lui-même, il y avait encore des heures