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l’élève

— Comment cela ?

— Vous avez votre idée.

— Oui, que je ne ferai probablement pas de vieux os et que vous pouvez rester avec moi jusqu’au moment où je m’en irai.

— Vous êtes trop intelligent pour vivre, — répéta Pemberton.

— Je ne trouve pas ça très chic de votre part d’avoir cette idée-là, — poursuivit Morgan. — Mais je vous punirai en durant très longtemps.

— Gare à vous ou je vous empoisonnerai, — dit Pemberton en riant.

— Je me fortifie et ma santé s’améliore chaque année. N’avez-vous pas remarqué que pas un médecin ne m’a approché depuis que nous sommes arrivés ?

— C’est moi qui suis votre médecin, — dit le jeune homme lui prenant le bras et l’entraînant affectueusement.

Morgan se laissa faire et, au bout de quelques pas, poussa un soupir où se mêlait la lassitude et le soulagement.

— Maintenant que nous regardons les choses en face, ça va mieux !


VII

Ils regardèrent fréquemment les choses en face après cette conversation, et une des premières conséquences de leur nouvelle attitude fut que Pemberton ne « démarra pas », suivant l’expression de son petit ami, rien qu’en raison de cela. Dans la bouche de Morgan les faits prenaient tant de vivacité et de drôlerie, sans rien perdre de leur réalisme ni de leur laideur, que le plaisir de les examiner avec lui était irrésistible. Il eût d’ailleurs été cruel de le laisser tout seul avec sa famille. À présent que les deux amis avaient tant de perceptions communes, ils n’étaient plus tenus à faire semblant de ne pas juger des gens de cette espèce. Mais le fait même de les juger et d’échanger leurs impressions créait un autre lien entre eux. Morgan n’avait jamais été si intéressant qu’à présent, car lui-même devenait plus clair à la lumière indirecte