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l’élève

— Des goûts et des couleurs… Qu’est-ce que vous savez par elle ?

— Hé bien, leur idée de derrière la tête. Elle est partie parce qu’ils ne voulaient pas casquer. Elle m’aimait énormément, et elle est restée deux ans. Elle m’a tout raconté et comment à la fin elle ne pouvait jamais toucher ses gages. Dès qu’ils virent à quel point elle m’aimait, ils cessèrent de lui donner quoi que ce soit. Ils s’imaginaient qu’elle resterait pour rien, à cause de cela, comprenez-vous ? — Et Morgan eut un drôle de petit regard averti et lucide. — Elle est restée très longtemps, tant qu’elle a pu. Ce n’était qu’une pauvre fille. Elle envoyait de l’argent à sa mère. À la fin, sa situation est devenue impossible, et elle est partie un soir dans une rage folle, une rage folle contre eux, bien entendu. Elle pleurait toutes les larmes de son corps en pensant à moi, elle me serrait contre elle à m’étouffer. Elle m’a tout raconté — répéta le petit garçon. — Elle m’a expliqué leur calcul. C’est pourquoi j’ai deviné, il y a bien longtemps, qu’ils n’avaient pas dû agir autrement avec vous.

— Zénobie était une maligne, — dit Pemberton. — Et elle vous a rendu comme elle.

— Oh non ! Ce n’est pas Zénobie qui m’a fait ainsi. C’est la nature. Et l’expérience ! — répondit Morgan en riant.

— Soit, mais Zénobie fait partie de votre expérience.

— Dans tous les cas, je fais partie de la sienne, la pauvre !

Et l’enfant soupira avec un air entendu :

— Et je fais partie de la vôtre aussi.

— Oui, vous en formez une très importante partie. Mais je ne vois pas comment vous savez que j’ai été traité de la même manière que Zénobie.

— Est-ce que vous me prenez pour le dernier des imbéciles ? — demanda Morgan. — Est-ce que je ne me suis pas aperçu de ce que nous avons enduré ?

— Qu’est-ce que nous avons enduré ?

— Nos privations, nos moments de tristesse.

— Oh ! notre vie a été suffisamment heureuse.

Morgan continua sa promenade en silence pendant un moment. Puis il dit :

— Mon vieux, vous êtes un héros.