Page:Revue de Paris - 1921 - tome 3.djvu/739

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
735
l’élève

eût été strictement correct de dire à l’enfant que tout cela ne le regardait pas et de le prier de continuer son travail. Mais ils étaient trop intimes pour cela ; il n’avait pas l’habitude de le traiter de cette façon et il n’avait aucune raison de le faire. D’un autre côté Morgan était tombé juste : il ne pouvait réellement pas continuer beaucoup plus longtemps. Pourquoi alors ne pas laisser connaître à l’enfant son véritable motif de l’abandonner ? Mais il n’était pas décent non plus de juger devant son élève sa propre famille. Il valait mieux mentir. Aussi, en réponse à la dernière exclamation de Morgan, déclara-t-il, pour couper court à cette conversation, avoir reçu plusieurs paiements.

— Vraiment ? Vraiment ? — s’écria l’enfant en riant.

— Tout est réglé ! — insista Pemberton. — Donnez-moi votre thème.

Morgan poussa un cahier de l’autre côté de la table et son compagnon se mit à lire. Mais il avait quelque chose en tête qui l’empêchait de suivre ce qu’il lisait. Au bout d’une minute ou deux, relevant les yeux, il rencontra ceux de l’enfant fixés sur lui et il y vit quelque chose d’étrange. Alors Morgan dit :

— Je n’ai pas peur de la dure réalité.

— Je ne sais pas encore de quoi vous avez peur ; il faut vous rendre cette justice.

Cette réflexion du tac au tac — qui exprimait d’ailleurs la pure vérité — causa à Morgan un plaisir évident.

— Il y a longtemps que j’y pense, — reprit-il.

— Hé bien, n’y pensez plus.

L’enfant parut obéir et ils passèrent une heure confortable et même amusante. En général ils s’imaginaient travailler avec un grand sérieux et pourtant avaient l’air d’en rester toujours aux endroits amusants des leçons. Ces endroits ressemblaient aux coupures entre des tunnels sombres et ennuyeux, par lesquelles on aperçoit des vues riantes et de jolies bordures. Pourtant la matinée finit dramatiquement. Morgan, mettant un bras sur la table, y enfouit sa tête et éclata en sanglots. Pemberton en fut d’autant plus saisi que, il en était tout à fait sûr, c’était la première fois qu’il voyait l’enfant pleurer. L’impression qu’il en ressentit fut donc extrêmement pénible.